FRANCE 5 – DIMANCHE 16 FÉVRIER À 23 H 00 – DOCUMENTAIRE
Un vieil homme, au milieu d’une forêt, s’incline devant un cratère surmonté d’une croix. Sept décennies plus tôt, un bunker souterrain se trouvait à cet emplacement. Il y a passé des jours et des nuits, quand il s’est engagé, à 20 ans, parmi les partisans qui, dès 1944, s’étaient opposés à la conquête par l’URSS de son pays, la Lituanie, et des deux autres Etats baltes, la Lettonie et l’Estonie. De ce combat, dit le vieil homme, « voilà ce qu’il reste : des souvenirs, et des trous ».
Jonas Kadzionis, 97 ans aujourd’hui, est l’un des derniers partisans baltes encore en vie. Avec son compatriote Albinas Kentra (1929-2023) et l’Estonien Ruuben Lambur (1925-2024), il est au cœur du film que le documentariste Antoine de Meaux consacre aux « frères de la forêt », comme s’étaient surnommés ceux qui se sont dressés, entre 1944 à 1953, contre le totalitarisme soviétique.
C’est l’une des plus longues guérillas européennes du XXe siècle. Elle est pourtant largement méconnue à l’Ouest, ce qui pourrait suffire à faire de ce documentaire un événement. Mais c’est aussi, simplement, un très beau film, intense et sensible, qui frappe d’abord par l’ampleur du regard que le cinéaste porte sur cette histoire, dont il fouille toutes les dimensions, de la plus intime à la plus politique, sans rien laisser dans l’ombre.
Autres formes de dissidence
Il rappelle, par exemple, que, sous l’occupation allemande (1941-1944), la quasi-totalité des juifs ont été assassinés, avec le soutien de collaborateurs locaux. Si nombre de ces derniers ont fui à l’arrivée de l’Armée rouge, d’autres se sont mêlés aux partisans, entachant un mouvement que les Soviétiques, puis les Russes, n’ont cessé de renvoyer à cette complicité avec le pire.
Or, montre le film, attribuer à l’ensemble du mouvement la monstruosité de quelques-uns relève de la manipulation. Dans un journal clandestin des partisans, il était écrit : « Le crime de ceux qui ont tué des juifs doit être racheté par le sang des “frères de la forêt”. » La charte adoptée par la branche lituanienne du mouvement, en 1949, affirmait le caractère démocratique de la Lituanie à venir. Elle prévoyait aussi (le film, c’est une de ses rares lacunes, ne le mentionne pas) que les anciens collaborateurs des nazis soient jugés à la libération.
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Une libération que les partisans n’ont pas connue. Les Soviétiques ont mobilisé des troupes massives pour les écraser, massacrant, violant, torturant, déportant – plus de 500 000 Baltes sont envoyés en Sibérie entre 1944 et 1953 ; 50 000 partisans sont tués. A la mort de Staline, en 1953, le mouvement est exsangue. Quand Moscou propose une amnistie aux derniers combattants, la plupart acceptent.
Il n’y aura plus, dès lors, de résistance armée dans les trois pays. Mais, bientôt, d’autres formes de dissidence se multiplient. Elles se cristallisent, durant les années 1980, dans une lutte pour l’indépendance et la démocratie, qui permet aux Baltes de recouvrer la liberté en 1990. Les « frères de la forêt » l’ont emporté, par-delà le trou béant laissé dans les mémoires par les massacres et les déportations. C’est ce qui rend inoubliable le tombeau que leur dresse Antoine de Meaux : il célèbre une victoire, celle des morts sur leurs assassins.
Frères de la forêt. Des résistants face à l’URSS, documentaire d’Antoine de Meaux (Fr.-Lit., 2024, 55 min). Sur France.tv jusqu’au 19 juillet.