On savait l’embellie fragile, on ne l’imaginait pas si brève. Il n’a pas fallu plus d’une semaine après la visite à Alger de Jean-Noël Barrot, le ministre des affaires étrangères, qui avait paru remettre la France et l’Algérie sur la voie de l’indispensable dialogue, pour que la relation entre les deux pays replonge dans la crise, aiguë, paralysante. Jamais, depuis l’indépendance, en 1962, le fossé entre les deux capitales n’a paru si profond.
Les faits de cette subite escalade sont établis. Furieux de l’arrestation, le 12 avril, d’un agent du consulat d’Algérie de Créteil dans le cadre de l’enquête judiciaire sur l’enlèvement d’un opposant algérien en France, Alger a ordonné l’expulsion sous quarante-huit heures de douze fonctionnaires de l’ambassade de France. Paris a réagi par une mesure de réciprocité, décidant à son tour l’expulsion de douze agents des représentations diplomatiques et consulaires algériennes en France et rappelant l’ambassadeur de France à Alger pour consultation.
Les dirigeants des deux pays ne semblent plus parler le même langage. Même leurs interprétations des accords bilatéraux et des conventions internationales divergent. Alger crie à la violation de la convention de Vienne, qui organise le régime de l’immunité diplomatique ; Paris s’appuie sur cette même convention, dont l’alinéa C de l’article 31 prévoit que l’immunité d’un agent diplomatique est levée dès lors qu’il s’agit d’actes réalisés « en dehors de ses fonctions officielles ». Sauf à supposer que l’enlèvement d’opposants fait partie des fonctions officielles du personnel diplomatique algérien, la justice française, dont il faut sans doute rappeler à Alger qu’elle est indépendante, est donc fondée à demander l’interpellation de suspects dans une affaire d’enlèvement, fussent-ils agents consulaires étrangers.
Ces différends sur l’interprétation des textes reflètent la profondeur du malentendu franco-algérien, qui approche paradoxalement du point de rupture alors que, avec Emmanuel Macron, Alger a affaire au président français le plus ouvert vis-à-vis de l’Algérie depuis l’indépendance.
La nature du régime algérien explique sans doute que l’impasse actuelle soit concentrée sur des questions relatives à la sécurité et à la liberté d’expression, qu’il s’agisse de l’arrestation de l’agent consulaire, des refus d’admission en Algérie d’immigrés illégaux ciblés par une obligation de quitter le territoire français (OQTF), ou de la détention de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal. Or, un régime démocratique ne peut simplement pas accepter que des membres du personnel de sécurité de pays étrangers fassent la chasse aux voix critiques au sein de leur diaspora sur son territoire. Cela vaut, en France, pour l’Algérie comme pour la Chine. De même, le blocage par Alger du processus d’admission des très nombreux OQTF crée une situation inacceptable pour la France, après le meurtre de Mulhouse, dont est accusé un Algérien sous OQTF que son pays a refusé quatorze fois de reprendre.
Que faire ? Opposer la ligne dure et la diplomatie, ou la fermeté et le dialogue, relève de la démagogie. Car, après des mois de brouille, un constat s’impose : ni la crise ni le dialogue n’ont produit de résultat. Une forme de dialogue reste indispensable, ne serait-ce que pour faire reprendre les OQTF. Mais d’autres leviers peuvent être actionnés, notamment celui de l’accord d’association avec l’Union européenne qu’Alger souhaite renégocier. De plus en plus isolé diplomatiquement dans sa région, le régime algérien ne peut être sur tous les fronts.