Responsable de l’unité mixte biologie et écologie des écosystèmes marins profonds (BEEP) à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), Pierre-Marie Sarradin décrypte l’évolution des sciences océaniques.
Que sait-on des océans que l’on ignorait il y a vingt ans ?
Les sciences océaniques commencent aujourd’hui sur la terre ferme. Grâce aux avancées scientifiques de ces dernières décennies, nous savons que l’océan profond est connecté non seulement avec la surface, mais aussi avec la côte, et la côte avec le continent. En clair, tout ce qui est produit sur terre, ou presque, finit un jour ou l’autre dans la mer. Si je jette une bouteille de plastique dans les Alpes, elle finira un jour inéluctablement en Méditerranée. Il y a encore une vingtaine d’années, nous pensions que nos agissements étaient déconnectés du fond des océans. Tout le monde reconnaît maintenant que ce n’est pas le cas.
En a-t-on une preuve palpable ?
Les études menées dans les fosses océaniques les plus profondes, les zones hadales situées au-delà de 6 000 mètres, montrent la présence et l’accumulation de microplastiques. Par ailleurs, les organismes prélevés à ces profondeurs permettent de détecter la présence de polluants organiques persistants, ces substances toxiques qui résultent essentiellement des rejets des activités humaines dans l’environnement. L’idée de fonds marins pristins, autrement dit vierges et sauvages, sans impact de l’homme, a vécu.
En quoi cela modifie-t-il l’approche des sciences océaniques ?
Le lien anthropologique désormais établi entre les continents et le fond des mers est intéressant du point de vue scientifique, car il oblige à considérer le fonctionnement des océans de manière globale, comme un tout. Une nouvelle pratique en développement, le source to sink, vise par exemple à suivre certains éléments depuis une source d’eau vers des environnements en aval, une rivière, un fleuve, un lac, la mer… et le fond des océans.
De plus en plus, nous nous apercevons que les écosystèmes profonds, que l’on pensait auparavant relativement stables et isolés, subissent en réalité les interactions entre les courants profonds et la topographie sous-marine. En se frottant sur le fond, en ripant, les courants créent des tourbillons qui remontent dans la colonne d’eau et augmentent le potentiel de dispersion de toutes sortes d’éléments dans l’océan, particules, larves, avec les conséquences que l’on imagine.
Quelles formes de vie existent à 5 ou 6 kilomètres de profondeur ?
Il vous reste 64.2% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.