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Histoires Web vendredi, juillet 5
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Il faut parler de Lacrima en racontant comment s’en termine la trame. En l’occurrence, elle finit très mal, puisqu’une couturière tente de se tuer dans son atelier. Révéler cette scène qui se produit deux fois (elle ouvre et ferme la représentation) n’est pas trahir un secret. Le récit est lui-même un flash-back de huit mois, soit le temps nécessaire pour fabriquer la robe de mariage de la princesse d’Angleterre. Huit mois vécus à temps plein par une armée de travailleuses et de travailleurs dévoués à leur tâche. Un brodeur à Bombay, des dentellières à Alençon, des couturières à Paris. Ce sont leurs histoires singulières que l’on découvre. Autant d’intimités qui convergent toutes vers le même but : donner corps au rêve d’une princesse.

La beauté des engagements et les sacrifices que suppose le labeur forment la ligne de cette représentation. On en sait plus, après trois heures d’un spectacle qui s’écoule avec fluidité, sur les conditions de travail des ouvriers, les exigences qui les animent, leur vie privée et professionnelle, l’abnégation qui est la leur.

Autrice et metteuse en scène de Lacrima, Caroline Guiela Nguyen fuit les héros spectaculaires. Elle leur préfère les gens de l’ombre, le petit peuple des invisibles qui, grâce à elle, accèdent, au théâtre, à des existences dignes de ce nom. Elle sait faire ça et elle le fait très bien. Chacun de ses personnages est un être humain auquel on s’attache. Même au pire d’entre eux, et il y en a un : un homme qui harcèle et maltraite sa femme dans une longue séquence étirée à l’excès pour plus de vraisemblance.

Révolte salutaire

La force du projet tient dans l’attention rigoureuse portée au moindre détail. Détail de la broderie et de la couture, des contrats de travail ou de la découpe d’un tissu ; des biographies inventées pour les protagonistes, des relations qu’ils entretiennent avec leurs employeurs, leurs familles, leurs collègues ; d’un pseudo-reportage radio sur le métier de dentellière. C’est parce qu’elle ne néglige pas les détails et que ses comédiens (formidables) en font de même que Caroline Guiela Nguyen signe une représentation prenante qui excède, de loin, la bluette mais s’apparente à une critique subtile du capitalisme mondial.

En enserrant son spectacle à l’intérieur d’un geste suicidaire réitéré, l’artiste en surligne ainsi la double portée dramatique et politique. Lacrima a beau puiser son thème dans le rêve d’une midinette, ce n’est pas une pièce à l’eau de rose enrobée de compassion et noyée dans la bienveillance. Le texte n’est pas réductible au pathos que suggère le titre. Les larmes sont moins au rendez-vous qu’une forme de révolte salutaire contre les caprices d’une altesse royale (soit le sommet de la hiérarchie) dont les fantasmes impliquent le sacrifice de multiples « petites mains ».

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