Un féminicide décrit comme « archétypal » par la chambre d’instruction. Mounir Boutaa a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une période de sûreté de vingt-deux ans pour l’assassinat de son épouse qui avait tenté de divorcer, Chahinez Daoud, le 4 mai 2021, à Mérignac (Gironde). La peine est conforme aux réquisitions de l’avocate générale de la cour d’assises de la Gironde Cécile Kauffman, qui avait dénoncé un « acharnement meurtrier destiné à exterminer », ayant marqué « profondément toute notre société ».
Cet homme, âgé de 48 ans aujourd’hui, avait tiré deux balles dans les cuisses de la victime, avant de l’asperger d’essence et de la brûler vive.
Caché depuis l’aube dans un fourgon inconnu de la victime et aménagé pour observer sans être vu, Mounir Boutaa avait épié toute la journée les allées et venues de la jeune femme de 31 ans, avec laquelle il s’était marié en 2015, avant de passer à l’acte.
L’accusation dépeint un projet « d’effacement » et « d’extermination »
Durant les débats entamés lundi, l’accusé de 48 ans a maintenu qu’il voulait « lui faire la peur de sa vie » mais sans la tuer, convaincu qu’elle lui était infidèle – ce qu’aucun élément de l’enquête n’a confirmé. Durant l’instruction comme dans son box, l’accusé a clamé sa certitude de l’existence d’un « amant », déplorant qu’il ne soit pas présent à l’audience et criant au complot.
La mort de Chahinez, « c’était pas moi, c’était mon corps, pas mon esprit », a-t-il plusieurs fois répété. « Bien sur sûr que je regrette », « je l’aimais », a-t-il fini par lâcher jeudi, sans s’excuser, pressée par l’une de ses avocates, Me Elena Badescu.
« Tuer parce qu’on aime à la folie est une aberration », a cinglé l’avocate générale, Mme Kauffman, dépeignant un homme « jaloux pathologique, manipulateur, dépourvu d’empathie ». « Chahinez était bien vivante quand cet homme a allumé le feu », « son corps a brûlé à 85 % », a souligné la magistrate, alors que la famille de la victime venait de quitter la salle, en pleurs, quand elle a commencé à rappeler les faits.
L’accusé, présenté comme « paranoïaque » aux « traits narcissiques » par plusieurs experts, « a sans doute son discernement altéré », a estimé auprès de la cour Mme Kauffman. Mais « en raison de sa dangerosité », l’avocate générale a réclamé, « exceptionnellement », « d’écarter la diminution de peine » prévue à cet effet.
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Pour Mme Kauffman, l’acte de M. Boutaa, « qui a profondément et douloureusement marqué notre société », est un projet « d’effacement, d’extermination ». Aux yeux de l’accusé, « Chahinez ne devait plus exister, ni pour lui ni pour les autres, elle ne devait plus avoir ni visage ni corps, n’être que poussière ».
Retenant la préméditation et l’organisation d’un guet-apens de l’accusé, la magistrate a insisté sur sa dangerosité « psychiatrique » et « criminologique ». « Quand il est frustré, il n’entrevoit qu’un seul recours : l’extermination », a conclu Mme Kauffman, pour qui Chahinez Daoud « [avait] eu un courage hors norme » pour demander la séparation.
Une plainte mal enregistrée
Durant quelques mois d’emprisonnement de son époux pour « violences conjugales » en 2020, Chahinez Daoud était redevenue « sereine », selon ses proches qui l’ont décrite comme « une battante », « appréciée de tous » et dévouée « à ses enfants ». Mais lorsqu’elle était avec lui, elle « vivait dans la peur » et se savait condamnée, ont témoigné des amies.
Son téléphone était vérifié, son compte Facebook contrôlé et ses papiers administratifs déchirés par son mari pour l’empêcher de travailler. « Il voulait tout maîtriser : la façon de s’habiller, la façon de cuisiner », a dénoncé une sœur de Chahinez Daoud. Pour le père de la victime, Kamel Daoud, sa fille « n’a pas voulu être prisonnière, être un jouet, c’est pour ça qu’elle a été tuée ».
Un mois et demi avant sa mort, elle avait déposé une nouvelle plainte contre celui qu’elle cherchait à quitter. Mais celle-ci fut mal enregistrée par un policier qui venait lui-même d’être condamné pour violences conjugales, parmi une série de « défaillances » pointées ultérieurement par une enquête administrative, pour lesquelles la famille de la victime a engagé une procédure contre l’Etat.
L’ancienne épouse de Mounir Boutaa a, elle, raconté à la cour avoir subi « gifles, coups de pied, insultes », et une emprise similaire. Cette première vie conjugale d’une grosse décennie cochait déjà toutes les cases du contrôle coercitif. Me Julien Plouton, avocat de la famille Daoud, a fait de l’accusé une « figure emblématique » des auteurs de féminicides, au « cheminement typique », passant « d’un amour surdimensionné » à la « dévalorisation » de celle qui devint « le diable en personne ».
Un passage à l’acte « calculé, organisé, réfléchi »
« Il ne vit pas comme vous et moi, il est en souffrance permanente », celle-ci résultant « de qui il est : une personne paranoïaque, altérée », a plaidé Me Anaïs Divot, avocate de l’accusé. Elle a exhorté les jurés à ne pas juger « une affaire symbole » mais à « comprendre » M. Boutaa, qui « n’est pas le monstre décrit dans la presse » mais un homme qui a « tenté de se suicider » et « lancé des appels à l’aide » dans le passé.
La défense a contesté un passage à l’acte « calculé, organisé, réfléchi », Mounir Boutaa ayant toujours affirmé qu’il voulait « punir » sa femme parce qu’elle avait porté plainte pour violences conjugales et qu’il la croyait infidèle.
Avant que la cour se retirait pour délibérer, ce dernier avait assuré lui aussi « ne pas se voir » tel qu’on l’a présenté car « ce n’est pas [son] identité ». « Je suis vraiment désolé des trucs, mais je ne suis pas tout seul. Vous êtes en train de mettre tout sur mon dos, mais pour moi, je n’ai pas fait tout le nécessaire, mais au moins j’ai essayé », avait-il dit, avant de « demander pardon au monde entier ».