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D’un coup, en pleine interview, la gorge brûle, on est pris d’une irrésistible envie de tousser. Devant la maison d’un des membres de ce comité de voisinage de Mufulira, au nord de la Zambie, il s’esclaffe. « Ça ? Ce n’est rien du tout, c’est tout petit », affirme Simutowe Kasiwa, le secrétaire du comité. « Parfois, on peut même voir quand le soufre est en train de venir, ça fait une couleur bleue, ajoute son vice-président David Kabansa. C’est comme des gaz lacrymogènes. Les gens toussent, leurs yeux pleurent, ils courent dans tous les sens pour s’abriter. »

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Leur quartier, Kankoyo, aligne des rangées de maisonnettes façon cité ouvrière, construites dans les années 1960 quand l’immense mine attenante, Mopani, était encore publique. Des habitations en briques et ciment, avec leur courette délimitée par une haie, ombragées de manguiers. Mais Kankoyo, sous le vent une grande partie de l’année, est exposé à du dioxyde de soufre provenant de la fonderie, un sous-produit du fastidieux processus chimique qui permet de transformer le minerai brut en cuivre. Régulièrement, le gaz s’échappe de la haute cheminée noire, visible de loin.

Certes, la situation s’est grandement améliorée après la rénovation de la fonderie ainsi que la construction d’une usine d’acide, qui capte et réutilise ce gaz, au début des années 2010, racontent les membres du comité de voisinage. Mais les émanations, qu’on appelle ici « senta » continuent. « Aujourd’hui, dans notre communauté, le senta est le principal problème. Beaucoup de gens ont de l’asthme, de la tuberculose, des gens meurent à cause du soufre », poursuit M. Kabansa.

Décès en pleine messe

En l’absence d’études, personne ne sait dire combien sont touchés. A l’heure où la Zambie, ruinée par la dette, parie plus que jamais sur son sous-sol riche de cuivre, un métal clé de la transition énergétique, le sort de Kankoyo ne trouve pas beaucoup d’écho. Sauf peut-être en 2013, quand la cheffe du district, asthmatique, est décédée en pleine messe après un rejet de gaz, selon la presse locale.

Quand elles retombent, les particules affectent aussi les toits de tôle, qui rouillent rapidement, et surtout les sols. « A cause du soufre, tu ne peux rien planter. Ça ne pousse pas, parce que la terre est polluée », poursuit M. Kabansa. Seuls les manguiers survivent. Avec les mines, l’agriculture est pourtant centrale dans cette province de la Copperbelt, comme ailleurs dans le pays (55 % des emplois). Le comité « aime » la mine, mais voudrait juste qu’on prenne en compte ses impacts.

Il cite les dynamitages qui font trembler les maisonnettes. Depuis environ dix ans, Mopani (aujourd’hui détenue à 51 % par le fonds émirati IRH) opère uniquement sous terre. Plus loin dans Kankoyo, juste derrière un mur, se dresse un ascenseur à poulies qui plonge dans les profondeurs. Juste devant, des foyers affichent des murs craquelés. Parfois, une pièce entière se détache, le salon, ou la cuisine.

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Comme chez Loveness Kunda, où une partie de cette dernière s’est effondrée quinze jours plus tôt. « Je travaillais dans la cuisine quand une brique est tombée dans le seau d’eau, juste à côté de moi, raconte la grand-mère. J’ai voulu éloigner mon petit-fils, donc je suis partie au marché. Quand je suis revenue, il y avait des gens partout qui ramassaient des briques, le mur était tombé. » Quelques mètres plus loin, Miriem Mulenga tient à montrer sa chambre fendillée, où dort toute la famille : « Ça peut tomber à tout moment, comme chez les voisins. »

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Mufulira (l’« abondance », en langue bemba) n’est pas la seule localité affectée. A Chingola, toujours dans la Copperbelt, les habitants ont mené une bataille juridique jusqu’en Angleterre contre la contamination d’une rivière. Plus au sud, Kabwe, où une grande mine de plomb et de zinc a été exploitée pendant 90 ans, est considérée comme l’une des villes les plus polluées au monde. L’exposition au plomb a entraîné de nombreux cas de saturnisme, un empoisonnement qui affecte, entre autres, le cerveau.

Menaces sur les droits humains

A l’échelle mondiale, l’impact environnemental des mines est bien connu. Les pollutions touchent toute la chaîne, depuis l’extraction des minerais, qui libèrent des produits potentiellement toxiques, jusqu’aux déchets, de forme solide (terrils) ou liquide (barrages de rétention des eaux usées, contenant souvent des produits chimiques).

A travers les conséquences environnementales, ce sont aussi les droits humains qui sont touchés. Le « droit à l’information, à la participation et au consentement préalable », égrène Juliane Kippenberg, de Human Rights Watch, mais aussi plus concrètement « le droit à une eau propre et sûre, à la nourriture, à un environnement sain, à la santé. » Elle pointe enfin les conflits d’usage de la terre, entre populations et entreprises, quand de plus en plus de sites dans le monde opèrent à ciel ouvert.

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D’autres détaillent les conséquences sur la biodiversité, comme une étude publiée en 2020 dans la revue Nature. « Sans planification stratégique, ces nouvelles menaces à la biodiversité pourraient dépasser celles évitées par l’adaptation au changement climatique », y écrivent les auteurs. Dans le bassin du Congo, deuxième plus grande forêt primaire du monde, plusieurs exemples ont fait grand bruit. En décembre, une enquête de l’agence AP démontrait que les opérations d’un minier chinois menaçaient la réserve de faune à okapis, qui abrite la girafe forestière du même nom, une espèce grandement menacée.

En Afrique, la faiblesse des législations, et plus généralement des Etats, rend la protection des populations et des territoires plus difficile qu’ailleurs. La bénédiction en ressources minières « a un coût », pointe Odilon Kongolo : « Les gens viennent, ils minent, ils prennent le minerai. Mais les dégâts qui restent, personne ne quantifie ça », développe cet expert minier congolais basé en Afrique du Sud.

Marges de manœuvre faibles

L’« après-mine » est un défi pour le continent. Les Etats n’ont souvent pas les moyens de coûteux bras de fer contre les entreprises qui ne respecteraient pas leurs engagements postproduction. « Normalement, les miniers font des provisions pour ça, poursuit M. Kongolo. Mais beaucoup de mines sont juste fermées. On dit qu’elles ouvrent pour 30 ans, mais on ferme au bout de 20, et on part. » Or, les marges de manœuvre budgétaires sont bien plus faibles que dans des pays développés pour dépolluer.

Certes, des financements internationaux existent, mais ils restent limités. A Kabwe, en 2016, un programme financé par la Banque Mondiale a permis de tester et traiter le saturnisme d’environ 10 000 personnes… sur une population totale de 76 000 habitants, a rapporté une enquête de Human Rights Watch.

Aller en justice ? Souvent un vœu pieux pour les populations, face à des géants miniers aux moyens considérables. Des batailles de longue haleine, aux résultats aléatoires. Un procès sur la pollution de Kabwe fait le ping-pong depuis des années entre l’Afrique du Sud et le Royaume-Uni, s’étirant sans fin sur des considérations de juridiction. En attendant, pas de décontamination totale, et pas d’indemnisations de l’ancien exploitant, Anglo American.

Face à la ruée pour les minerais, Imasiku Anayawa, professeur à l’université de la Copperbelt, s’inquiète que les leçons du passé ne soient pas tirées. « Nous ne voulons pas d’un autre Kabwe », insistait ce géologue lors d’une conférence de l’agence de l’ONU pour l’industrie, l’Unido, organisée au cœur de la région minière zambienne. L’expert a répété ce nom, un traumatisme national peu connu à l’étranger : « Mes concitoyens zambiens présents ici savent de quoi je parle quand je dis que nous ne voulons pas d’un autre Kabwe. »

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