Des milliers de personnes ont manifesté, jeudi 1er mai, en Serbie, à Belgrade et à Novi Sad (Nord), à l’appel des étudiants et des syndicats. Une première dans le pays, depuis le 1er novembre, lorsque l’auvent en béton de la gare de Novi Sad s’est effondré, faisant seize morts, dont deux enfants.
Cet événement a déclenché une vague de manifestations, qui s’est transformée en une vaste contestation du système et de la corruption, la plus grande en Serbie depuis des décennies, avec les étudiants en fer de lance. Le rassemblement a réuni 18 000 personnes, selon les estimations d’un organisme de comptage indépendant, 6 200 selon les autorités, avant de se dissoudre en début de soirée.
Plusieurs milliers de personnes, des familles, des retraités ou des jeunes, ont convergé à Belgrade en début d’après-midi dans un concert de sifflets, devant les bureaux du gouvernement. Les manifestants arboraient des drapeaux serbes, mais aussi d’organisations syndicales, notamment des secteurs automobiles ou de l’énergie, ainsi que de nombreux badges sur lesquels était inscrit « Pumpaj » (« mets la pression »), l’un des cris de ralliement du mouvement.
« Les cinq plus grands syndicats se sont unis pour la première fois dans l’histoire et ont organisé ensemble avec les étudiants cette manifestation », a expliqué dans le cortège Zeljko Veselinovic, leader du syndicat Sloga (Unité).
Enseignants non payés
« Depuis le début, je suis ce que font les étudiants et je les soutiens. Il est important que les étudiants et les travailleurs agissent ensemble et se battent pour un meilleur avenir », assure à l’Agence France-Presse une employée du secteur privé, Milica Petrovic, une économiste de 46 ans, venue manifester pour « obtenir de meilleures conditions de travail et de vie ».
Aux revendications des étudiants – poursuites contre les responsables de l’accident de la gare de Novi Sad, abandon des charges contre les étudiants arrêtés lors de manifestations – s’ajoutent désormais des demandes sur la législation du droit de grève, portées haut et fort jeudi par les manifestants.
« Le message principal est destiné au gouvernement serbe pour adopter d’urgence une nouvelle loi sur le travail et une nouvelle loi sur la grève », explique le leader syndicaliste, Zeljko Veselinovic.
De nombreux enseignants qui soutiennent les étudiants se retrouvent sans salaire depuis des mois, en raison de lois vagues permettant aux proviseurs de ne pas les payer, quand bien même ils ne sont pas en grève.
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En écho au représentant syndical, une étudiante évoque, elle aussi, une union des forces dans la durée. « Nous ne sommes pas fatigués et nous n’allons pas [nous] arrêter », assure Anja Despotovic, en quatrième année à la faculté électrotechnique de Belgrade. Ce rassemblement conjoint est, assure-t-elle, « la première étape vers le renforcement de cette coopération » entre étudiants et syndicats, « et vers une certaine radicalisation future ».
« Six mois se sont écoulés depuis l’effondrement de l’auvent [à Novi Sad], cette tragédie pour laquelle personne n’a encore été désigné coupable », a lancé depuis une tribune un représentant des étudiants. « Nous réclamons justice pour les morts et les blessés, pour ces victimes des mensonges et de la corruption. »
En déplacement aux Etats-Unis, le président serbe, Aleksandar Vucic, a déclaré, devant des médias serbes à Miami, que l’Etat avait fait « tout ce qui était possible » en matière de « responsabilité criminelle, morale et politique », évoquant notamment la démission du premier ministre, Milos Vucevic.
« Au cours des six derniers mois (…) nous avons assisté au crime de destruction de la Serbie sans précédent, à une terreur sans précédent », a-t-il déclaré en référence aux manifestants, qualifiant de « triste » le rassemblement de jeudi. « Le temps » des manifestants est « passé », a-t-il prévenu, vient celui de « la responsabilité (…) pour des crimes qu’ils ont commis contre notre pays ».
« Révolution de couleur »
Plus tôt dans la journée, plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées à 11 h 52, à l’heure du drame qui a frappé la gare de Novi Sad, pour rendre hommage aux victimes, a rapporté l’agence Beta. Les manifestants portaient des ballons rouges en forme de cœur sur lesquels étaient écrits les prénoms des victimes. Ils ont inauguré devant la gare une plaque commémorative sur laquelle est inscrit : « Novi Sad se souvient, 1er novembre 2024, 11 h 52. »
Depuis le drame, la Serbie a connu presque une manifestation par jour, de Belgrade, où des centaines de milliers de personnes ont défilé, jusque dans les plus petits villages.
Les étudiants ont marché inlassablement, pris leur vélo et pédalé sur de longues distances pour faire connaître leur combat jusque dans les lieux isolés où seuls sont accessibles les médias proches du pouvoir, mais aussi jusqu’auprès des instances européennes, à Strasbourg ou à Bruxelles.