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Vendredi 11 octobre, à Tbilissi, alors que le petit monde des lettres géorgiennes applaudissait les lauréats du Litera, la mondanité dévoilait une prise de bec. Ce prix littéraire, l’un des deux principaux du pays, était remis sous l’œil complice de la présidente, Salomé Zourabichvili, mais ostensiblement boudé par la ministre de la culture, Téa Tsouloukiani. Réciproquement, le milieu littéraire ne fréquente plus son ancien QG du 13, rue Machabeli, où l’équivalent géorgien du Centre national du livre (CNL) est installé dans une splendide demeure Art nouveau. Plus question de frayer avec l’institution depuis que la même ministre l’a placée sous tutelle, en confiant les clés à une apparatchik honnie de la profession, la députée Ketevan Dumbadze.

En Géorgie, le gouvernement et le monde des lettres s’observent en chiens de faïence, l’un qui lorgne vers Moscou, l’autre vers l’Europe. Alors que la petite république du Caucase (3,7 millions d’habitants) connaîtra un scrutin législatif à haute tension samedi 26 octobre, voilà sa littérature redevenue un enjeu politique, trente ans après l’émancipation de la tutelle soviétique (1921-1991). Au pouvoir depuis 2012, le parti Rêve géorgien a multiplié ces dernières années les réflexes autoritaires et les œillades à Moscou, dans un revirement qui inquiète des Géorgiens majoritairement favorables à l’intégration européenne. « Plus de 80 % de la population, le consensus ici est très fort », rappelle Tamta Mélachvili, romancière quadragénaire, pour qui ces dernières semaines représentent une insupportable salle d’attente.

Entrisme maladroit

« On vit dans l’expectative, mais je ne peux pas croire que Rêve géorgien gagne l’élection, sourit-elle, un rien nerveuse mais rassurée par les coalitions formées par l’opposition. Ce sera sûrement le plus fort taux de participation de l’histoire de la Géorgie indépendante. » Féministe, pro-européenne, manifestante infatigable, Tamta Mélachvili a écrit trois romans depuis 2010 (Merle, merle, mûre a été traduit en français, chez Tropismes, en 2023). « Pas des livres politiques, mais j’essaye de secouer les normes », explique cette voix d’une génération longtemps corsetée : « Je suis née à l’époque soviétique, j’ai grandi dans la Géorgie postsoviétique, et je n’en peux plus de tout cela. Trois fois on m’a proposé de m’installer à l’étranger. Mais je veux vivre et écrire ici. »

Plusieurs écrivains ont quitté le pays depuis 2021, année où la relation entre les lettres et le pouvoir a commencé à tourner au vinaigre. La ministre Tsouloukiani avait alors fait preuve d’un entrisme maladroit en imposant son candidat au jury du Litera. Mal lui en avait pris : 90 % des éditeurs s’étaient retirés de la compétition, dont Sulakauri, Intelekti, Palitra L et Artanuji, les quatre grands du domaine. « On a perçu ce noyautage comme un premier pas vers la possibilité de contrôler la sélection, de museler ­l’expression littéraire », raconte Natasha Lomouri.

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