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« Les gardes m’inséraient une éponge dans la bouche pour étouffer mes cris lorsque j’étais frappé et torturé » : Ephrem Minassie a la voix tremblante en évoquant ses nombreux séjours dans les geôles érythréennes pour avoir tenté de se soustraire au service militaire obligatoire et de fuir le pays.

Le premier passage d’Ephrem – le prénom a été changé pour des raisons de sécurité, comme pour les autres personnes interrogées par l’Agence France-Presse (AFP) – derrière les barreaux remonte à 2001, après s’être ouvert auprès d’autres soldats du « caractère futile » de la guerre.

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L’homme de 43 ans a participé au conflit meurtrier qui a opposé entre 1998 et 2000 l’Erythrée à son voisin éthiopien. Il est incarcéré pendant deux mois dans la région du Gash Bark (sud-ouest). Durant sa détention, Ephrem n’a reçu que de « l’eau croupie » et, comme maigre ration, « une miche de pain et du thé » trois fois par jour, raconte-t-il à l’AFP lors d’un entretien téléphonique.

L’Erythrée, parfois surnommée la « Corée du Nord de l’Afrique », occupe la queue de nombreux classements internationaux, que ce soit en matière de liberté de la presse (180e sur 180 en 2024 selon Reporters sans frontières) ou de développement humain (175e sur 183 en 2022 selon l’ONU).

« Des tortures régulières »

Ephrem Minassie est arrêté une nouvelle fois en 2006, toujours sans aucun jugement, et envoyé pendant deux ans dans une autre prison. C’est le début des violences physiques, relate-t-il. « Avec d’autres prisonniers, nous étions régulièrement frappés avec des matraques électriques sur différentes parties du corps, surtout dans le dos », raconte-t-il, précisant que les femmes détenues, la plupart pour avoir tenté de passer la frontière, étaient violées.

Ephrem est libéré et fuit au Soudan voisin, mais il est arrêté par des militaires soudanais à Khartoum et remis aux autorités érythréennes. Pendant six ans, il est transféré dans divers établissements pénitentiaires. « J’ai enduré des passages à tabac et des tortures régulières, des coups dans les jambes, pendant environ une heure par jour », poursuit cet homme qui vit aujourd’hui à Addis-Abeba, la capitale éthiopienne.

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Isaias Afwerki dirige d’une main de fer l’Erythrée, pays d’environ 3,5 millions d’habitants, depuis sa déclaration d’indépendance de l’Ethiopie en 1993, après trois décennies de guerre. Héros de l’indépendance, le dirigeant a mis en place un régime de parti unique, sans élection, où toute voix contestataire et toute tentative de fuir le pays sont sévèrement réprimées.

« Enfermés dans des conteneurs en plein désert »

Dans ce petit Etat fermé de la Corne de l’Afrique, les dissidents disparaissent au goulag et les civils sont enrôlés à vie dans l’armée ou contraints au travail forcé dans le cadre d’un service national assimilé à de l’esclavage par l’ONU. « La torture et les traitements inhumains ou dégradants en détention sont systématiques en Erythrée », énumère à l’AFP le rapporteur spécial auprès de l’ONU sur les droits de l’homme en Erythrée, Mohamed Abdelsalam Babiker.

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Certains détenus « sont enfermés dans des conteneurs métalliques en plein désert, soumis à des températures insupportables », poursuit-il, décrivant une dégradation de la situation depuis sa prise de fonction en 2020. Interrogé par mail sur ces mises en cause et sur des déclarations recueillies par l’AFP, le ministre érythréen de l’information, Yemane Gebremeskel, n’a pas donné suite.

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Le pays est également décrié pour ses atteintes à la liberté religieuse. Ce fut notamment le cas pour Daniel Hagos, un chrétien évangéliste, qui se souvient parfaitement de la date de son arrestation. C’était le 19 juin 2014. L’homme de 47 ans est appréhendé avec deux autres personnes, « accusés d’avoir prêché l’Evangile », relate-t-il au téléphone.

« Nous avons été enfermés dans une prison souterraine à l’atmosphère suffocante, infestée de rats et de serpents », se souvient-il. Les sévices corporels à l’aide de câbles de cuivre sont réguliers. « Je pense que les gardiens de prison essayaient de nous tuer en combinant famine, passages à tabac et négligence », souligne-t-il.

« J’ai de la chance d’être en vie »

Après quatre ans de détention, il est libéré en 2018. Le quadragénaire qui a la jambe gauche paralysée à cause des tortures, vit à Addis-Abeba. « J’ai de la chance d’être en vie, d’autres prisonniers que je connais sont morts », précise-t-il.

Goitom Abreha a lui aussi été arrêté en raison de sa foi. « J’ai enduré diverses formes de torture. L’un des aspects les plus difficiles était de devoir travailler quotidiennement » sous une chaleur étouffante, relate à l’AFP ce père de cinq enfants, qui a été détenu au secret. Après sa libération, il était « déterminé à quitter le pays dès qu’une occasion se présenterait ».

Elle arrive finalement en 2018, à la suite d’un accord de paix entre l’Ethiopie et l’Erythrée qui ouvre les frontières. Goitom Abreha réside lui aussi à Addis-Abeba, avec sa famille. A-t-il l’espoir de retourner en Erythrée ? « Un jour, dès que les droits seront respectés », déclare-t-il, avant de conclure : « Mais ce n’est pas pour tout de suite. »

Le Monde avec AFP

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