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Himra, 27 ans, nouveau phénomène du rap ivoire, ne révèle pas grand-chose de lui en interview. Alors peut-être faut-il chercher des indices dans sa demeure abidjanaise pour mieux comprendre Abdul Rahim Souleymane Bakayoko de son vrai nom. A l’entrée de chez lui, c’est un portrait du jeune homme qui nous accueille, signé Gilles Mensah, peintre des grands noms de la pop culture de Côte d’Ivoire. La reproduction est fidèle à l’original : longues dreadlocks décolorées, muscles saillants, tatouages, vêtements de marque et bijoux voyants.

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Une demi-douzaine de chaînes autour du cou, le chanteur reconnaît avoir autant travaillé son image que sa musique, mais évite la morgue de beaucoup de stars du hip-hop. « Les Ivoiriens aiment être impressionnés, tu ne peux pas les attraper en étant normal. Ils veulent un super-héros », explique celui dont le signe de ralliement est formé des deux pouces levés et des deux index tendus et croisés, comme des épées.

Himra a commencé la musique à l’adolescence, écoute alors surtout des artistes britanniques, américains et français. « J’ai commencé à rapper à cause de La Fouine », reconnaît-il. C’est toutefois en écoutant des sonorités « brutes, agressives et sombres » venues du sud des Etats-Unis qu’il trouve son identité musicale.

« Une musique comme un coup de poing »

« Quand j’ai écouté la drill, ça a cliqué, résume-t-il. Et j’ai décidé de la façonner à ma manière, pour la faire aimer aux Ivoiriens. Comme quand Arafat a écouté des sons congolais et en a fait une musique qui plaisait aux Ivoiriens. » Himra est régulièrement comparé à la star du coupé-décalé, tué en pleine gloire dans un accident de moto en 2019, ce qu’il ne désavoue pas.

« On a en commun la puissance, l’énergie, une musique comme un coup de poing. » Ses textes sont aussi entièrement en nouchi, l’argot de la jeunesse populaire d’Abidjan, et son rap est « accessible. Pour faire un hit, il faut que tu comprennes tout du début à la fin, même si tu n’es pas allé à l’école. C’est du nouchi hardcore : je suis ce que DJ Arafat aurait été s’il avait fait du rap. »

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De 2018 à 2024, il peine à rencontrer son public mais s’obstine, quitte à chanter sur des petites scènes alors que les adeptes de la maïmouna, ce genre très dansant du rap ivoire mâtiné de coupé-décalé, remplissaient les plus grandes salles. « On me disait que ça n’allait pas marcher ici, se souvient-il, que la drill ne prendrait jamais en Côte d’Ivoire ».

Sans se décourager, il produit six mixtapes en six ans, une partie chez Universal, une autre autoproduite, une flopée de singles et de collaborations avec des noms du rap ivoire (Suspect 95, Widgunz, Mosty) et même français (Gazo, Le Juiice, La Mano). A l’époque, déjà, il remporte un succès d’estime.

« C’est un perfectionniste »

« C’est un vrai artiste, salue le réalisateur de clips Bouba Atkins. Quand tu tournes avec lui, il ne se contente pas de valider un script, il est avec toi à la réalisation, il sait ce qu’il veut, il a des idées. C’est un perfectionniste. »

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L’explosion intervient en 2024 : son album Jeune et riche, sorti en octobre, est disque d’or en décembre, disque de platine en février. Il n’est que le deuxième artiste ivoirien, après le duo zouglou Yodé & Siro, à obtenir cette distinction, et le premier du rap ivoire. Ses plus gros hits, Yorobo Drill Acte 3, Vêtements et Banger, font aujourd’hui partie de la bande-son de la capitale économique ivoirienne. Himra parle à la rue. Il chante la galère, la hargne et la reconnaissance. « On est pas chanceux, donc obligés de grouiller [en nouchi, faire des petits boulots difficiles et mal payés] », souligne-t-il dans les paroles de Sans pression.

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« Jeune et riche », Himra l’est désormais. Le marché ivoirien ne rapporte rien sur YouTube, comme dans la quasi-totalité des pays africains, mais il peut compter sur les streamings internationaux, ses nombreuses prestations scéniques et ses partenariats commerciaux.

Son agenda des prochains mois est déjà rempli : une résidence au Nigeria en mars, un concert en Guinée en avril ainsi que le Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (Femua) à Abidjan, des collaborations annoncées avec des artistes anglophones. Et, pour sa première scène européenne, Himra devrait commencer par le festival Yard, haut lieu de la culture hip-hop parisienne, où il doit partager l’affiche le 5 juillet avec Gazo et Tiakola.

« Je ne vieillirai pas dans le rap »

Il espère aussi pouvoir retrouver à l’étranger un relatif anonymat. Depuis qu’il a accédé à la célébrité, il reconnaît « ne plus pouvoir aller à l’épicerie » sans être cerné de fans, très jeunes, qui débordent d’enthousiasme. « J’ai toujours voulu avoir cette carrière, mais ce succès-là, je ne m’y attendais pas », reconnaît-il. Ses apparitions tournent parfois à l’émeute, comme lors d’une séance de dédicace en novembre 2024 dans la commune de Yopougon à Abidjan.

Sa popularité tente aussi d’être récupérée dans un contexte tendu par la perspective de l’élection présidentielle le 25 octobre. Les hommes politiques de tous bords se sont mis à le courtiser dans l’espoir de gagner les faveurs d’une jeunesse qu’ils pressentent déconnectée de l’enjeu.

« La politique et moi, ça fait deux, reconnaît le chanteur. Je sais que c’est mon public qui les intéresse. Aujourd’hui, s’ils veulent dire à la street de sortir, la street ne va pas sortir. S’ils veulent parler à la street, la street ne va pas les écouter. Mais [pour] un concert de Himra, la street sort », prévient le rappeur.

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Il dit n’avoir « pas de message à faire passer hors de la musique », préfère se concentrer sur ses deux projets en préparation et sur le « personnage final » qu’il cherche à devenir : « Je veux plus de muscles, je veux être plus effrayant que Booba, Kaaris ou 50 Cent, avoir une carrière plus puissante. Je veux être numéro un. »

Pourtant, il anticipe déjà une carrière courte. « Je ne vieillirai pas dans le rap, prophétise-t-il. A 40 ans, je ne ferai plus de musique. J’aurai une vie normale, je produirai d’autres artistes, peut-être. De toute façon, les Ivoiriens en veulent toujours plus. Si demain vient quelqu’un de plus fou que moi, ils vont me laisser. »

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