A quelques jours de la Toussaint, dans les rues des villages viticoles de Bourgogne, les odeurs de raisin en fermentation ont laissé la place à celles, encore plus intenses, qui émanent des alambics. La vinification terminée, les cuves sont vidées. Il en reste une matière sèche – peaux, rafles et pépins –, appelée « gène », utile à un autre produit de la région : le marc. Impulsée par les moines cisterciens à la fin du XVIIe siècle, cette eau-de-vie a eu son moment de gloire au début du XXe siècle, au point d’inspirer Picasso pour un de ses tableaux (La Bouteille de vieux marc, 1913) et d’être reconnue appellation d’origine contrôlée en 1942, puis en 2011.
Devenu quasiment anecdotique depuis les années 1970, utilisé davantage pour l’affinage de fromages de la région, tel l’époisses, que comme digestif, le marc de Bourgogne suscite un regain d’intérêt grâce à quelques passionnés, dont Mathieu Sabbagh, qui distille désormais 95 % de l’appellation. En 2018, ce quinquagénaire dynamique, ex-commercial chez Pernod Ricard, a décidé de changer de vie en acquérant la distillerie Pigneret, créée en 1941 à Beaune mais dont l’activité périclitait. Bouilleur ambulant, le néodistillateur a rebaptisé l’entreprise Alambic Bourguignon et se déplace avec son appareil chez les vignerons des alentours (Meursault, Volnay, Pommard…), pour recueillir la gène et la distiller sur place.
« Le plus difficile a été de les remotiver pour qu’ils me fournissent de la matière première, raconte-t-il. L’argument qui les a le plus convaincus a été l’aspect vertueux du marc : on est sur du recyclage. D’autant que, après la distillation, la gène peut retourner à la terre par épandage. » Il a commencé par un seul alambic et un autre collègue distillateur. Six ans plus tard, il attend son troisième appareil et sa société compte quatre bouilleurs ambulants, lui compris. Aujourd’hui, Alambic Bourguignon distille le marc provenant de 250 vignerons de la région et de plusieurs maisons de négoce, comme Joseph Drouhin, Louis Jadot ou Albert Bichot, et même celui des Hospices de Beaune. « Pour le moment, seulement une vingtaine de vignerons viennent récupérer leur marc après distillation pour le vendre à leur nom. Mais c’est un début », estime Mathieu Sabbagh.
Continuité du travail de vigneron
En 2020, l’entrepreneur a créé sa propre marque de spiritueux, Sab’s, lancée avec 5 000 bouteilles, de marc, gin, fine (eau-de-vie de vin) et autres eaux-de-vie de fruits. Cette année, il en a produit 15 000, dont une majorité de gin, suivi de près par le marc (vendu 49 euros la bouteille). La particularité de ce dernier, c’est qu’il exige un minimum de deux ans de vieillissement pour revendiquer l’appellation marc-de-bourgogne. « Ma marque de spiritueux n’est clairement pas l’essentiel de mon activité aujourd’hui, car il faut un long temps d’élevage pour que les produits soient à un haut niveau », explique Mathieu Sabbagh.
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