Dans un climat politique particulièrement tendu, les députés allemands ont rejeté de justesse, vendredi 31 janvier, une proposition de loi visant à restreindre l’immigration, soutenue pour la première fois depuis 1945 par les conservateurs et l’extrême droite ensemble, malgré le tollé que ce rapprochement entre les deux formations suscite dans le pays.
Au Bundestag, vendredi, 350 députés ont voté contre ce texte, et 338, pour. Il s’agissait de la deuxième initiative en trois jours en ce sens entre les démocrates-chrétiens (CDU/CSU) et l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), après une première alliance lors d’un vote, mercredi, qui portrait alors sur une motion non contraignante.
L’examen du texte de la CDU, visant notamment à restreindre le regroupement familial, avait débuté après des négociations infructueuses visant à éviter le vote du texte grâce aux voix de l’AfD, le parti d’extrême droite. « Nous pouvons encore fermer ensemble la porte de l’enfer », avait dit le député social-démocrate Rolf Mützenich, exhortant la droite à « rétablir le cordon sanitaire » des formations modérées contre l’AfD. Les conservateurs assurent ne pas chercher une alliance de gouvernement, mais seulement promouvoir leurs idées pour limiter l’immigration. « Vous ne croyez quand même pas sérieusement que nous tendons la main à un parti [l’AfD] qui veut nous détruire », a assuré Friedrich Merz, le candidat des conservateurs à la chancellerie en vue des législatives du 23 février.
Ces derniers jours, la question d’un rapprochement entre la CDU de Friedrich Merz, favori des sondages, et l’AfD a créé un séisme politique dans le pays. Mercredi, les conservateurs ont déjà voté avec l’extrême droite pour faire adopter de justesse une motion à la chambre des députés visant à refuser l’entrée en Allemagne de tous les étrangers sans papiers, y compris les demandeurs d’asile. Cette décision a brisé un tabou politique dans le pays, où les partis traditionnels se sont toujours refusés à coopérer au niveau national avec l’extrême droite depuis la fin de la seconde guerre mondiale, et suscité une immense controverse.
Restreindre le regroupement familial
Bien que hautement symbolique, la motion votée est toutefois non contraignante. Mais, à trois semaines des législatives, Friedrich Merz avait soumis, vendredi, une proposition de loi au vote du Bundestag. L’Union chrétienne-démocrate (CDU) et son alliée bavaroise CSU avaient demandé en fin de matinée une suspension de séance. En cause : le Parti libéral-démocrate (FDP, centre droit) hésitait à s’associer au vote si la proposition devait être adoptée grâce au soutien de l’extrême droite. Sans les élus du FDP, le texte n’avait plus aucune chance de passer.
« Nous voulons une solution qui puisse être trouvée avec les partis modérés, sans l’AfD », avait expliqué le dirigeant libéral, Christian Lindner. Une dizaine de députés conservateurs avaient aussi signifié leur refus de voter le texte avec l’AfD. Friedrich Merz avait alors entamé des négociations en coulisse pour tenter d’arracher un accord aux sociaux-démocrates et écologistes du gouvernement du chancelier, Olaf Scholz, sur la proposition de loi.
Ce texte visait à restreindre le regroupement familial des immigrés et à étendre les pouvoirs de la police des frontières. Cette offensive sur le sujet de l’immigration fait suite à une récente agression au couteau meurtrière à Aschaffenbourg, dans le sud de l’Allemagne, par un Afghan.
Critique d’Angela Merkel contre son camp
La proposition de loi est « contraire au droit européen et international » et viole « les droits de l’homme », a estimé Amnesty International. Les partis de gauche accusent les conservateurs de briser le « cordon sanitaire » historique autour de l’extrême droite. Ils ne sont pas les seuls. Même l’ex-chancelière Angela Merkel, qui fait pourtant partie de la même formation que Friedrich Merz, a critiqué son attitude « erronée » ayant abouti à façonner « une majorité avec les voix de l’AfD pour la première fois lors d’un vote au Bundestag ». Les conservateurs allemands ont tourné le dos à la politique d’accueil prônée par Angela Merkel en 2015, jugée laxiste par Friedrich Merz, qui lui a aujourd’hui succédé à la tête du parti.
L’AfD, parti antimigrants et nationaliste, est créditée de plus de 20 % des intentions de vote – deux fois plus que lors du précédent scrutin en 2021 – en vue des législatives. La recherche de futurs partenaires de coalition après le scrutin du 23 février s’est assurément compliquée pour le favori des sondages, qui ne pourra gouverner avec les élus de son seul parti.
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Jusqu’ici, le SPD puis les Verts apparaissaient comme les partenaires les plus probables. « Je ne peux plus faire confiance à Merz », a lancé jeudi Olaf Scholz, sur la chaîne ARD. « Notre confiance est ébranlée », lui a fait écho le député écologiste Sven-Christian Kindler. La CDU serre, pour l’instant, les rangs derrière son candidat. « Les responsables d’aujourd’hui doivent réagir aux problèmes migratoires actuels », a défendu le secrétaire général de la CDU, Carsten Linnemann.