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Histoires Web dimanche, juin 30
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On s’attendait à un entretien sérieux, mais Emmanuel Coutris, visage rond et yeux clos, aime rire et faire des blagues. On dirait un jeune homme, mais il annonce qu’il a 44 ans, bientôt 45. Il a perdu la vue pendant sa petite enfance et n’a plus de mémoire visuelle depuis l’âge de 5 ans. Programmateur en informatique, à Suresnes (Hauts-de-Seine), il travaille également depuis 2013 dans l’audiodescription de films pour les personnes mal ou non voyantes, notamment avec Marie Diagne – laquelle vient de réaliser une version audiodécrite de Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles (1976), chef-d’œuvre de la cinéaste belge Chantal Akerman (1950-2015).

Lire le récit : Article réservé à nos abonnés Au Festival La Rochelle Cinéma, redécouvrir « Jeanne Dielman », en version audiodécrite pour les non-voyants

Quand il était enfant, sa mère l’emmenait au cinéma – il a grandi à Massy, dans l’Essonne. « Il arrivait que ma mère me décrive un film, mais ça m’agaçait un peu, même si je sentais sa bienveillance. Je préférais profiter au maximum du son, des réactions du public. »

Davantage que cinéphile, il se décrit comme « un explorateur au fil de l’eau », découvrant des films par curiosité, grâce à des proches ou par les critiques. « Mais plus un film est encensé, plus je me méfie », dit-il. Il se rend au cinéma seul ou avec ses amis. « Le plus important, c’est le point d’écoute, c’est-à-dire ma place par rapport aux enceintes. Souvent, j’y vais avec d’autres gens et il faut faire un compromis : trop près de l’écran, mes amis ne vont pas aimer, trop loin, je vais mal entendre. Si je suis tout seul, je me mets au deuxième ou au troisième rang. Une fois que je suis assis, je suis avec moi-même. »

« Souvent assez déçu par le son »

Parfois, quand il s’immerge dans un film, la notion de cadre et d’écran n’existe plus. Emmanuel Coutris a cette belle phrase : « Je peux avoir l’impression que je fais partie de la scène. Je suis dans la voiture avec les acteurs. »

Il est « souvent assez déçu par le son dans les salles ». Il s’explique : « J’ai remarqué que le son est souvent meilleur lors des publicités que pendant les films. J’ai l’impression qu’il sort d’un nombre plus grand d’enceintes. C’est aussi le cas des bandes-annonces : le son semble plus spatialisé, plus englobant. » S’il apprécie les œuvres d’arts martiaux, c’est en partie « à cause du son évocateur et des musiques », dit-il, citant Tai-Chi Master (1993), de Yuen Woo-ping, ainsi que des films avec Bruce Lee.

Sur l’audiodescription, selon lui, il y aurait aussi des progrès à faire… « Je n’aime pas quand on interprète trop. Je préfère que l’on reste dans le factuel. Au cinéma, si on me dit que le canapé est bleu, même si je ne sais pas me figurer cette couleur, je prends ça comme une information. » Il ajoute : « Quand je suis allé voir Un p’tit truc en plus, un film que j’ai, par ailleurs, bien aimé, j’ai fini par enlever mon casque, car ça parlait trop. »

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