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Histoires Web samedi, octobre 19
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« Echec et mat au paradis », de Sébastien Lapaque, Actes Sud, 332 p., 22,50 €, numérique 17 €.

Que se sont-ils dit ? Quels mots ont-ils eu la force d’échanger, constat angoissé ou projet chimérique, en cette fin de ­janvier 1942, à la ferme de la Croix-des-Ames, attablés à la cantina ou sur le quai de la petite gare du bourg brésilien de Barbacena ? On ne le sait que par bribes. A la différence de la conversation que Georges Bernanos (1888-1948) eut en avril 1937 avec Malraux, dont les saillies ont été notées par l’écrivain belge Paul Nothomb, celle avec Stefan Zweig (1881-1942), à ­laquelle Sébastien Lapaque ­consacre son nouveau livre, Echec et mat au paradis, reste inconnue.

Geraldo França de Lima, témoin-clé, rapporte qu’entre quatre et onze heures le juif chassé d’Europe par la terreur génocidaire et le monarchiste catholique exilé volontaire se sont parlé en français, la langue de Balzac, mentor littéraire de Bernanos, dont l’écrivain autrichien écrit alors la biographie (Balzac. Le Roman de sa vie, 1950). Au soir, alors que le train remporte le couple Zweig vers Rio, Bernanos a ses mots : « Il est en train de mourir. » Quelques semaines plus tard, le 23 février 1942, dans la chambre de leur résidence de Petropolis, on retrouvera les cadavres enlacés, suicidés au véronal et autres poisons, de Stefan et Lotte Zweig.

Une version théâtrale

Treize lettres à des intimes et collaborateurs accompagnent ce geste ultime, « à temps, et la tête haute », ainsi qu’une missive dont la fin signifie au mieux la dimension volontaire et assumée : « Je salue tous mes amis ! Qu’ils voient encore l’aurore après la longue nuit ! Moi, par trop impatient, je les précède. » Du suicide de Zweig, Bernanos écrira : « Peut-être attend-il de notre amitié ce dernier service de parler en son nom à des malheureux que tente aussi le désespoir… »

Depuis 1998 qu’il publie sur Bernanos, un écrivain qui est moins pour lui un sujet qu’une cause, une œuvre qu’un cap, Sébastien Lapaque, journaliste au Figaro littéraire, romancier et nouvelliste, s’avoue hanté par ce bref face-à-face, habité par ces mots échangés et demeurés celés. Bien loin des fastes de l’histoire littéraire, cette rencontre unique, et plus encore le souhait qu’en a eu Stefan Zweig, et l’accueil fraternel de Bernanos prennent pour Lapaque valeur de signe – un symbole quasi eschatologique, fugace harmonie communielle qu’il importe de sonder, de reconstituer par le menu, de rêver au point d’en donner une version théâtrale, dont on trouvera des fragments insérés dans l’ouvrage.

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