Depuis la guerre d’Algérie, des meurtres visant des personnes identifiées comme « maghrébines » ponctuent la sinistre chronique du racisme en France, au point que le mot « arabicide » a pu être forgé par l’auteur d’un livre sur le sujet. Certains discours politiques ont pu inspirer des passages à l’acte, comme le meurtre d’Ibrahim Ali, un jeune Français d’origine comorienne tué en 1995 à Marseille par un colleur d’affiches du Front national. Mais jamais la volonté d’un meurtrier raciste d’inciter autrui à s’inspirer de son geste, troublant ainsi « l’ordre public par l’intimidation ou la terreur » selon la formule du code pénal, n’avait abouti à une qualification de « terrorisme ».
Après le meurtre d’Hichem Miraoui, 45 ans, samedi 31 mai à Puget-sur-Argens (Var), le choix de saisir le Parquet national antiterroriste se fonde notamment sur l’appel à « aller les chercher là où ils [les étrangers] sont », posté sur les réseaux sociaux par Christophe B., 53 ans. Ce suspect est ainsi visé par une enquête pour « assassinat en relation avec une entreprise terroriste, commis en raison de la race ou de la religion ». Pertinente, cette qualification constitue une première en matière d’homicide raciste ou antimusulman. Elle reflète l’émergence d’une inquiétante menace : celle d’un terrorisme d’extrême droite.
En mêlant appels au meurtre raciste et incitation au vote RN dans des messages diffusés sans le moindre filtre par Facebook et X, Christophe B. met en lumière l’ambiguïté, voire la perversité, des discours du Rassemblement national. La façade de respectabilité édifiée par Marine Le Pen masque des messages de haine à peine subliminaux de ses troupes. La présentation de l’immigration comme une « submersion » responsable de tous les maux du pays, l’identification des musulmans aux terroristes et des auteurs de violences urbaines à des « sauvages », instille depuis des années le rejet de l’étranger que des groupes d’ultradroite ou des individus isolés sont incités à traduire en actes.
Mais ce « racisme d’atmosphère », selon l’expression du socialiste Olivier Faure, est aussi favorisé par la porosité d’une part croissante de l’échiquier politique à la phraséologie du RN. En dénonçant les « barbares » après les incidents survenus au cours des célébrations de la victoire du PSG, en plaçant sans cesse l’islam, les musulmans et l’Algérie au centre de la conversation politique, Bruno Retailleau a alimenté, comme d’autres responsables politiques, la machine à haine. Sa dénonciation du crime « raciste » du Var et du racisme comme un « poison qui tue » n’en est que plus appréciable.
Il reste que la substitution fréquente d’un prisme religieux à l’analyse du racisme et des rapports sociaux qui imprègnent ce type de crime constitue une regrettable régression. Certes, l’écho des chocs répétés infligés à la société française par les attentats islamistes se lit dans la prose haineuse de Christophe B. Mais celle-ci, où il est question de « bicots », semble d’abord inspirée par un racisme et une xénophobie « à l’ancienne ».
En considérant le drame de Puget-sur-Argens sous un angle exclusivement religieux avant même de connaître le rapport qu’entretenait Hichem Miraoui avec l’islam, on tend à essentialiser ce dernier et à privilégier l’angle favori de tous les extrêmes. Alors que cet assassinat devrait d’abord provoquer une condamnation de tous les discours qui assimilent une religion, mais aussi une couleur de peau, une culture, une nationalité ou une origine étrangère à une menace.