L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER
Plan fixe sur un phare improbable au milieu d’un bocage. Voici l’une des premières images de Direct Action, du Français Guillaume Cailleau et de l’Américain Ben Russell. Filmé en contre-plongée, l’élégant édifice en bois et métal prend des airs de géant sous le ciel bleu : il se situe exactement à l’endroit où devait être construite la tour de contrôle de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), un projet lancé dans les années 1960 en vue de désengorger celui de la ville de Nantes – laquelle est située à une vingtaine de kilomètres.
On connaît la suite de l’histoire de ce terrain, rebatipsé « zone à défendre » ou ZAD, par les activistes opposés à l’aéroport : après d’intenses affrontements, le premier ministre d’Emmanuel Macron, Edouard Philippe, annonçait en janvier 2018 l’abandon du projet de « l’aéroport de la division ».
Rituels paysans
Ce phare désobéissant, qui revient à trois reprises dans le montage, fait figure de totem dans ce documentaire hypnotique, organisé selon une succession de plans fixes – Direct Action tourne dans les festivals depuis sa sélection à la Berlinale. Pendant plus d’un an, entre 2022 et 2023, les deux cinéastes ont posé leur caméra 16 mm dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, toujours habitée par divers collectifs qui y vivent en autonomie, travaillant la terre tout en menant des activités militantes.
Car le combat continue, notamment au sein du mouvement Les Soulèvements de la Terre, créé en 2021, réseau d’activistes coordonnant diverses luttes locales (contre le projet d’autoroute Castres-Toulouse, ou en opposition aux mégabassines, ces réservoirs d’eau artificiels utilisés pour l’irrigation de terres agricoles). Au total, environ 150 personnes ont investi ce vaste lieu – grand comme un aéroport, cela va sans dire.
Direct Action révèle le versant méconnu de ce territoire, avec ses rituels paysans, menés au rythme des saisons : travail de la terre avec un cheval de labour, pétrisssage de la pâte à pain, dans une abstraction de couleurs pâles, tâches de désherbage pour l’entretien des sols, etc. Autant d’activités qui n’auraient pu se développer si l’aéroport avait été construit.
C’est l’idée géniale du film, d’articuler le visible (le présent de la ZAD, au jour le jour) et l’invisible (l’aéroport qui ne sortira pas de terre). Libre aux spectateurs de se construire « leur » film : à la place de ce jardin où un cheval à crinière blanche prend l’air, il y aurait eu, qui sait, un magasin de souvenirs ; et ce chemin qu’empruntent les vaches avec leurs veaux, au printemps, correspondait peut-être au tracé d’une piste d’atterrissage (séquence bouleversante avec deux éleveurs âgés, un homme et une femme, guettant comme de jeunes parents la sieste dans l’herbe des nouveau-nés beuglant…).
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