La caméra glisse sur le jean de l’héroïne – mince, blanche, à la longue chevelure blonde – pour s’arrêter sur son regard azur. « Mes jeans sont bleus », lance l’actrice américaine Sydney Sweeney (Euphoria, The White Lotus), après avoir évoqué la transmission des gènes des parents à leur progéniture. La voix off conclut alors : « Sydney Sweeney has great jeans », entretenant volontairement l’ambiguïté entre « jeans » et « gènes », deux mots homophones en anglais. Révélée le 23 juillet, la publicité vantant les pantalons d’American Eagle n’est pas passée inaperçue aux Etats-Unis. Début août, les grands quotidiens, du New York Times au Washington Post, lui dédiaient tribunes et analyses, tandis que CNN, ABC ou Fox News en débattaient dans leurs morning shows.
Mettant en scène un vêtement pourtant plutôt consensuel, le jean, la publicité a polarisé l’opinion. Les progressistes y ont lu un éloge « eugéniste » et un traité de « propagande suprémaciste ». Les conservateurs, un retour à une féminité idéalisée et au « bon sens ». « Une revanche culturelle après toutes ces années où l’on nous a dit qu’il fallait trouver inspirantes les mannequins lingerie potelées », écrit The Free Press, le jeune média « antiwoke » qui monte. Donald Trump et son vice-président, J. D. Vance, en personne, ont même défendu la campagne, trop heureux de souligner au passage que l’actrice s’était inscrite sur les listes électorales républicaines, à Monroe County, en Floride, en juin 2024.
Cette campagne d’American Eagle, dont l’action a bondi sous l’effet du scandale, incarne le vent réactionnaire qui souffle depuis quelques mois sur la mode, à l’opposé des discours inclusifs et philanthropes qui dominaient ces dix dernières années. « Nous sommes entrés dans un moment post-politiquement correct », résume Kimberly Jenkins, consultante et fondatrice de la plateforme The Fashion and Race Database. Comme si mode et idées progressistes n’allaient plus forcément de pair… Visuellement, cela se traduit par le retour de certains codes rétro, évoquant l’imaginaire tradwife, vantant le retour pur et simple de la femme au foyer, en robe de ménagère, petit sac à main et rang de perles.
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