Meilleures Actions
Histoires Web lundi, juin 24
Bulletin

Salsa superstar

La sortie de « Muevense » s’est accompagnée d’un texte signé Lin-Manuel Miranda dans lequel l’acteur-auteur-réalisateur aux multiples récompenses raconte en gros que si vous êtes un Latino-Américain qui vit sur cette planète, vous avez à coup sûr connu de multiples moments de vie associés à une chanson de Marc Anthony. En parcourant la discographie du chanteur d’origine portoricaine, force est de constater que depuis trois décennies Marc Anthony est devenu incontournable dans la musique latine.

Un focus sur ces dix dernières années montre, à commencer par l’album à succès « 3.0 » suivi par le réjouissant « Opus », que si Marc Anthony est resté fidèle à la salsa, il n’a cessé de s’en éloigner.

Cela étant, « Muevense » impressionne. Le disque applique les mêmes recettes musclées que le précédent « Palla Voy », dont la chanson titre était une libre interprétation du Yay Boy d’Africando. Marc Anthony multiplie les titres destinés au dance-floor, dupliquant la recette du tube Vivir Mi Vida, version salsa du C’est La Vie de Khaled. « Muevense » s’appuie ainsi sur deux locomotives, la chanson éponyme de l’album et Ale Ale, étendard latino-américain récemment déployé aux derniers Latin American Music Awards.

Marc Anthony est aujourd’hui la seule superstar de la salsa capable de fédérer bien au-delà du public latino.

Look mauvais garçon, en concurrence frontale avec les stars du reggaeton, Anthony aligne les tubes : la bachata Punta Cana -déjà un succès-, Ojala Te Duela, une plongée dans la chanson mariachi en tandem avec le chanteur d’origine mexicaine Pepe Aguilar, mais aussi A Dónde Vamos A Parar ?, adaptation réussie de la balade du Mexicain Marco Antonio Solís.

Malgré une voix de plus en plus écorchée, Marc Anthony reste un interprète formidable qui incarne ses chansons avec ferveur. Avec l’aide de son complice, le génial producteur Sergio George, il a imposé un style reconnaissable entre tous dans une recette qui fonctionne à tous les coups. Malos, Pasemos a Los Besos, Amarte a la Antigua viennent s’ajouter la liste des pépites estampillées Marc Anthony.

Qu’on aime ou pas, Marc Anthony est aujourd’hui la seule superstar de la planète salsa capable de fédérer, et cela bien au-delà du public latino.

Marc Anthony : « Muevense » (2024, Sony Music)

Retour de bâton

Sheila E. Le nom semble surgir du passé. Vue récemment dans le documentaire de Netflix consacré au tube planétaire We Are The World, Sheila est la fille du musicien de latin jazz Pete Escovedo. Percussionniste comme son père, elle a d’abord accompagné George Duke avant de devenir l’égérie de Prince qui lui offrit les hits Glamourous Life et Love Bizarre. A partir des années 90, l’artiste se fera plus discrète, se distinguant principalement par ses collaborations musicales, de Gloria Estefan à Ringo Star, accessoirement les éphémères Black Out All-Stars.

Star latina par excellence, lorsque Sheila E. se lance dans la salsa, c’est pour un hommage en bonne et due forme. On est saisi par la réinterprétation par Rubén Blades d’Anacaona de Chéo Feliciano. Le travail de l’interprète reste irremplaçable, n’en déplaise à nos amies IA. L’orchestration est, cela va sans dire, impeccable. Pas d’hommage à la salsa sans Celia Cruz. Bemba Colora, autre thème emblématique de Fania, prend la forme d’une jam réjouissante réunissant Sheila, une Gloria Estefan devenue trop rare et -plus surprenant- Mimi Succar. La percussionniste honore la mémoire de son parrain dans le métier, Tito Puente dans un Rey del Timbal emmené par un savoureux Gilberto Santa Rosa.

Malgré une belle production, « Bailar » peine à montrer ce que Sheila E. peut apporter à la salsa.

Pour l’épauler Sheila E. a fait appel à Tony Succar. C’est dire combien le jeune batteur de Miami est devenu incontournable depuis son adaptation salsa des plus grands tubes de Michael Jackson. « Bailar » est tiré par le titre éponyme chanté par Luis Enrique, un brin trop musclé mais ne manquant pas de qualités. Avec l’entrée en scène de Jean Rodríguez, chanteur fétiche de Tony, l’album bascule définitivement dans l’univers de ce dernier. L’auditeur attaché au concept d’album ne manquera pas d’être perturbé par ce changement de direction. Seule la descarga finale réunissant Sheila avec son père Pete et José Alberto El Canario rappelle l’intention originale.

On reste partagé. « Bailar » est une belle production. La question est ailleurs. « Sheila E. sort son premier album salsa », la belle affaire ! Le vrai sujet, c’est l’intention. Pour quoi faire ? Qu’a-t-elle à apporter à la salsa ? Même si on croit y déceler l’influence -subliminale – de Sheila, « Bailar » ne fait que l’esquisser.

Lire aussi | Michael Jackson, en mode salsa

Sheila E. : « Bailar » (2024, Sony Music)

Un œil dans le rétro

Après Lado A Labo B, dans lequel il se montrait convaincant dans une double proposition, l’une rétro, l’autre contemporaine de la musique latine, Victor Manuelle se livre à un nouvel exercice de style. Comme son titre le laisse supposer, « Retromántico » est un hommage vibrant à l’âge d’or (les années 80) de la salsa romántica, une déclinaison très populaire en Amérique Latine.

Le disque est plaisant et le chanteur portoricain parfaitement à l’aise dans son registre de prédilection. « Retromántico » surprend d’abord avec Casa Del Amor, version salsa d’un tube enregistré en 1991 par Vikki Carr et Ana Gabriel, repris ici en duo avec Tito Nieves. Les collaborations avec les stars du genre se multiplient, comme le regretté Frankie Ruiz dans un duo virtuel invoquant le tube Deseandote.

« Retromántico » participe à la réhabilitation de la salsa romántica.

Les paroles (l’amour sous toutes ses affres et toutes ses formes), les arrangements, le son de l’époque… La reconstitution est réussie. De Los Hombres Tambien Lloran à No Quiera Mentir, en passant par le dévot Si Volviera Jesus, l’auditeur est plongé dans le Tunnel de l’Amour. Passé la contractuelle bachata, on se dirige sans fausse note vers la conclusion avec Gilberto Santa Rosa dans un accord parfait.

Dans l’interview que nous avait accordée Gilberto il y a un an, ce dernier s’était posé en avocat de la salsa romantique, arguant que cette dernière avait « ouvert des horizons inespérés à la salsa traditionnelle », ajoutant qu’il n’y avait « qu’une seule salsa. » César Miguel Rondón, grand défenseur de la salsa brava des origines dont l’ouvrage culte vient d’être édité en Français, appréciera. Faudra-t-il réhabiliter la salsa romántica ? Un jour sûrement. En attendant on se plongera avec un plaisir coupable dans « Retromántico ».

Lire aussi : Gilberto Santa Rosa : « Je suis un audacieux à ma manière »

Lire aussi : Après 44 ans, « Le Livre de la salsa » paraît en France

Victor Manuelle : « Retromántico » (2024, Sony Music)

Le nouveau romantique

Le dernier disque de Charlie Aponte n’est pas sorti sur un gros label et on se demande bien pourquoi. Un chanteur emblématique, la production impeccable de Diego Galé, un résultat séduisant… Impossible de ne pas faire figurer « La Historia Continua » dans cette sélection.

Entré en 1973 au sein d’El Gran Combo de Puerto Rico en tant que lead vocal rejoignant Andy Montañez après le départ de Pellín Rodríguez, Charlie Aponte restera pour beaucoup la voix de tubes inoubliables comme Brujeria, Un Verano en Nueva York, Timbalero ou Se Me Fue. Il y a une dizaine d’années, le salséro se lançait à plus de soixante ans dans une carrière solo avec l’aide du producteur à succès Sergio George.

Dans un registre inattendu, Charlie Aponte montre l’étendue de son talent.

« La Historia Continua » fait honneur à cette carrière prestigieuse. L’album à la fois proche et différent des précédents, définitivement romantique dans la forme et les paroles, dévoile de l’artiste un visage qu’on ne lui connaissait pas. S’éloignant du style dura des deux précédents opus, « La Historia Continua » réussit le tour de force de s’inscrire dans la continuité.

Après Asi, premier extrait et introduction parfaite, les mélodies s’enchaînent dansantes et accrocheuses dans une écoute délicieuse. On trouve en points d’orgues un Jugueto exceptionnel, Mi Felicidad qui célèbre 50 ans de carrière ou encore le savoureux Ni Pa Ti Ni Pa Mi. Surtout, le répertoire et l’orchestration mettent parfaitement en valeur la voix et l’interprétation du vétéran. La plage suivante revêt des sonorités colombiennes avant l’atterissage avec un très joli Por Un Amor final.

Charlie Apointe : « La Historia Continua » (2024, CA Record)

Notre verdict : Pourquoi pas !

Alors, faut-il, en dépit de nos exigences, se diriger vers les plateformes d’écoute en ligne ? Pourquoi pas ! On trouvera dans « Muevense », « Bailar », « Retromántico » et « La Historia Continua » nombre de titres réjouissants qui ne manqueront pas d’égayer nos playlists estivales. Au-delà de l’aimable divertissement, on retiendra de ces quatre albums le charisme de Marc Anthony, une poignée de jolies reprises par Sheila E., la tentative de réhabilitation de la salsa romántica par Victor Manuelle et le talent d’interprète de Charlie Aponte.

Cette sélection confirme notre intuition. On ne comptera pas sur la salsa commerciale pour faire de grandes découvertes. Les grosses productions se contentent d’exploiter un glorieux héritage. Pour dénicher originalité et innovation, il faudra plus s’intéresser aux petites formations et productions indépendantes. La sélection de fin d’année du « jazz et la salsa » regorge de pépites qui montrent que la salsa est bel et bien vivante.

Lire aussi | Musique latine : nos coups de cœur de l’année 2023

Réutiliser ce contenu

Share.
© 2024 Mahalsa France. Tous droits réservés.