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Histoires Web dimanche, juin 30
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Pianiste d’instinct capable de déceler dans la Sonate (1948) d’Henri Dutilleux des perspectives ayant échappé à tout autre interprète, Aline Piboule cultive l’art de la confrontation. D’abord illustré, dans son premier disque d’importance (publié en 2017 par Artalinna), par le rapprochement de Gabriel Fauré et d’Henri Dutilleux, le goût de la pianiste pour le dépassement des cadres, temporels ou formels, s’est ensuite exprimé dans une collaboration avec l’écrivain Pascal Quignard, sur la base d’un programme d’inspiration aquatique.

Lire le portrait (en 2021) : Article réservé à nos abonnés Voyage en haute mer avec la pianiste Aline Piboule

Placé sous l’enseigne plutôt pompeuse de Coincidentia oppositorum (« la coïncidence des opposés »), le CD qu’elle vient d’enregistrer s’inscrit dans cette quête de correspondances hors norme et va encore plus loin pour servir une trinité peu orthodoxe : Jean-Sébastien Bach – Franz Liszt – Olivier Greif. Ici, Aline Piboule n’intègre pas les mots à son récital mais elle en use, à travers les titres des œuvres, pour suggérer le sens d’un parcours éminemment spirituel.

Avec « Ich ruf zu dir, Herr Jesu Christ » (« Je t’appelle, seigneur Jésus »), transcription d’un choral pour orgue de Bach, la pianiste plonge dans les basses comme s’il s’agissait de puits sans fond, mais son jeu n’est jamais caverneux. Il diffuse la sérénité par un phrasé magnifique au discret rubato et par la maîtrise d’accords qui se dissolvent dans la résonance. La gravité revêt alors un caractère existentiel.

Tout à tour sismique et séraphique, la Ballade n° 2, de Franz Liszt, alterne turbulences terrestres et transcendances célestes dans une rotation inexorable. L’éternel recommencement, propre à ce Sisyphe du clavier romantique, témoigne d’un infini, sans repos, contraire à celui apaisant, suggéré à l’horizon de Bach.

Virtuosité phénoménale

Au-delà d’une puissance et d’une virtuosité phénoménales, Aline Piboule impressionne par la justesse de son propos. A l’écouter, on se pose la question de la présence de l’homme dans l’activité du compositeur. Si Bach a tendance à s’effacer, Liszt, à coup sûr, s’expose. Quant à Olivier Greif (1950-2000), qui constitue le cœur du programme, il s’exhibe. Sous-titrée « Codex Domini », sa Sonate n° 21 (1994) en témoigne. Ecrite en un mois, cette partition de 21 minutes comporte trois mouvements d’une rare intensité.

Le premier (« Varsovie-Prague ») semble « bloqué » sur un thème d’origine populaire. Aline Piboule le relie à la chanson Domino (1950), créée par André Claveau. Pour nous, il ne fait aucun doute qu’il provient de la valse Amour et printemps, d’Emile Waldteufel (1837-1915), qui a accompagné le générique du célèbre « Ciné-club » d’Antenne 2, présenté par Claude-Jean Philippe. Olivier Greif multiplie les arrêts sur image. Les interruptions sonnent comme des interrogations. Avec ses multiples répétitions, le compositeur prend le risque de la rengaine et assume son obsession thématique. Il la traque, la détraque, dans un jeu de massacre où filtre un désespoir qui le rapproche de Dmitri Chostakovitch (1906-1975) et de Galina Oustvolskaïa (1919-2006).

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