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L’AVIS DU « MONDE » – POURQUOI PAS

On est d’abord joyeusement surpris par l’ambition de Drone, premier long-métrage de Simon Bouisson, qui avait précédemment signé plusieurs séries télévisées (Stalk, 3615 Monique). Drone suit à la trace Emilie, une jeune étudiante en architecture incarnée par Marion Barbeau, première danseuse de l’Opéra de Paris au visage passionnant, vulnérable, et découverte comme actrice dans En corps (2022), de Cédric Klapisch. En deux films, se déploie déjà une signature narrative : des débuts dans la vie ébréchés par des difficultés insurmontables.

Emilie intègre un séminaire tenu par un prof exigeant et vampirique (Cédric Kahn), qui fait travailler ses étudiants sur la rénovation de bâtiments patrimoniaux. Précaire, la jeune femme perd sa bourse à cause de revenus dont la provenance lui est difficilement avouable : elle est camgirl et gagne de l’argent en s’exhibant devant sa webcam sous le regard de ses innombrables clients virtuels.

Théorique, ambitieux, original, Drone se veut aussi subtilement dystopique : on ne sait jamais très bien où l’on est, cela pourrait être aujourd’hui ou dans un futur proche et cauchemardesque. L’histoire d’une ambition professionnelle devient celle d’une jeune femme harcelée de toutes parts. Simon Bouisson orchestre une nuit des regards où le corps d’Emilie est sans cesse exploité, essoré par l’avidité du regard masculin. Lentement, Drone bascule dans le thriller, mettant Emilie aux prises avec l’œil d’un drone dont on ignore qui le téléguide et qui la suit partout, l’épie jusque dans son intimité et sa vie sexuelle.

Deux camps

La fable dystopique vient commenter un monde de surveillance généralisée où, à l’ère du capitalisme numérique, l’idée de sphère privée n’est plus qu’un vieux rêve. Enfin tout le monde comprendra que le regard du drone vient figurer le concept de male gaze théorisé par la féministe américaine Laura Mulvey, selon lequel, l’histoire du cinéma ne serait que le récit d’un regard masculin (celui des personnages et de réalisateurs) exerçant son emprise sur le corps des femmes. D’un même mouvement, ce regard réifie, sexualise et surveille.
Drone dresse deux camps : d’un côté les hommes, voyeuristes et prédateurs en puissance, aspirant l’énergie intellectuelle et sexuelle des femmes. De l’autre, les femmes, victimes du male gaze, cet émissaire du patriarcat.

Ces positions de départ deviennent vite des positions de principe qui condamnent le récit à faire du surplace, à ne jamais profiter de l’espace ouvert par la fiction pour complexifier ou dialectiser son propos : quid du regard de celle qui est regardée, et pourquoi la camgirl pratique-t-elle forcément son métier avec la honte au corps ? Prisonnière des hommes autant que du scénario, Emilie semble tout subir de manière artificielle, comme si le film gardait jalousement sa liberté en réserve pour mieux la faire éclater lors d’un dénouement symboliquement chargé. Le terrain de jeu plein de promesses finit, hélas, par se rétracter en dissertation.

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