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Tecks, fromagers, badamiers, cacaoyers… Une jeune forêt pousse de chaque côté de la passerelle métallique qui serpente à un mètre du sol dans ce nouveau parc d’Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire. L’envers du décor est indécelable pour le visiteur de passage. « Plus de 50 millions de tonnes de déchets se trouvent sous nos pieds », prévient Noël Soro, responsable de l’assainissement pour le groupe PFO.

L’entreprise ivoirienne, spécialisée dans la construction et les travaux publics, épaulée par le français Veolia, est en passe de finaliser un ambitieux projet initié par l’Etat ivoirien : la reconversion d’un immense dépotoir en espace vert.

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Durant des décennies, la décharge d’Akouédo fut l’unique déversoir du grand Abidjan, accueillant sur près de 90 hectares des cargaisons d’ordures ménagères ou industrielles. Ouvert en 1965 en bordure de la ville, le site s’est progressivement retrouvé cerné par les nouveaux quartiers de cette agglomération en constante expansion, imposant aux riverains ses émanations suffocantes.

C’est là que la plus grande partie des centaines de mètres cubes de déchets toxiques provenant du Probo-Koala, vraquier immatriculé au Panama et affrété par la société Trafigura, avait été répandue en 2006, sans aucune précaution. Ce déversement avait provoqué la mort de 17 personnes et plus de 100 000 personnes avaient été intoxiquées selon le rapporteur spécial de l’ONU sur les déchets toxiques.

Un coût estimé à 185 millions d’euros

Rien ne subsiste aujourd’hui du paysage d’autrefois, ces monticules de détritus flanqués de marigots fétides où s’activaient des bataillons de chiffonniers à la recherche de bouts de métal ou de plastique. Totalement saturée, la décharge a été fermée fin 2018. Un grand chantier de réhabilitation a alors été lancé pour un coût estimé à quelque 121 milliards de francs CFA (185 millions d’euros), financé par l’Etat et confié à PFO.

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« L’urgence au départ était de sécuriser et assainir, explique le patron du groupe, Clyde Fakhoury. Puis s’est posée la question de ce que l’on pouvait faire de ce terrain sur lequel on ne peut pas construire car les sols sont meubles. » Ainsi est née l’idée d’un parc, un lieu de promenade et d’agrément comme on n’en trouve guère aujourd’hui à Abidjan.

Vue aérienne sur le parc d’Akouédo, conçu sur le site de l’ancienne décharge publique d’Abidjan (Côte d’Ivoire), en mai 2025.

Les massifs de détritus ont été remodelés puis recouverts d’argile et d’une géomembrane constituant une barrière étanche avec l’environnement extérieur. Par-dessus a été déposée une nouvelle couche de terre pour pouvoir planter. Une végétalisation assurée grâce à la mise en culture d’arbres et d’arbustes dans une pépinière installée à une extrémité du site, sous la houlette de l’entreprise française Gregori International et du paysagiste Philippe Niez.

Mais Akouédo n’est pas encore un jardin classique. En attestent les dizaines de puits d’extraction et la vingtaine de kilomètres de tuyaux qui strient le terrain. Cette installation récupère et transporte les biogaz, issus de la fermentation des déchets, et les lixiviats, ces jus toxiques produits par l’infiltration de l’eau de pluie dans les sols contaminés. Acheminés vers une centrale conçue par Veolia, les uns sont transformés en électricité – notamment pour répondre aux besoins du parc –, quand les autres sont traités et purifiés. Un changement de paradigme avec l’époque où ces fluides viciés s’écoulaient jusque dans la lagune Ebrié que l’on distingue en contrebas.

Devenir « un point d’ancrage populaire »

A sa façon, la transformation d’Akouédo vient répondre à un autre enjeu écologique : le déficit d’espaces verts qui affecte Abidjan comme de nombreuses villes subsahariennes, du fait de la pression foncière et du manque de planification urbaine. D’ici quelques mois, le parc avec ses terrains de sport, ses aires de jeu et sa promenade botanique sera ouvert aux habitants. Ils devront toutefois pour en profiter acheter un ticket d’entrée. Et accepter de laisser derrière eux la réputation de ce site anciennement réputé pour sa pollution.

Aire de jeu du parc d’Akouédo, conçu sur le site de l’ancienne décharge publique d’Abidjan (Côte d’Ivoire), en mai 2025.

« Oui, c’est un lieu chargé d’une histoire particulière, mais tout est pensé pour qu’il devienne un point d’ancrage populaire et accessible au plus grand nombre », assure Moussa Kouyate, président du Comité national de pilotage des partenariats public-privé (CNP-PPP), qui travaille à la mise en place d’une autorité de gestion privée de l’espace récréatif.

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Cette reconversion, estime-t-il par ailleurs, pourrait « faire des émules » sur le continent. Car la problématique des décharges sauvages concerne de nombreuses agglomérations africaines sur un continent à la population et à l’urbanisation croissantes. Les volumes d’ordures explosent, mais la grande majorité atterrit dans des dépôts non contrôlés où ils s’accumulent et se décomposent à l’air libre, quand ils ne sont pas tout simplement brûlés.

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Comme en plein cœur de Conakry, en Guinée, où le dépotoir de Dar es-Salaam, engorgé depuis des années, reçoit encore chaque jour des quantités massives de détritus. Début 2025, l’ambassade de France s’est vue chargée de la réalisation d’une étude pour la transformation du site. « Akouédo est un exemple intéressant de ce que l’on peut faire », confie anonymement l’un des participants.

Une telle réhabilitation n’est toutefois qu’un aspect des politiques d’assainissement. A Abidjan, Akouédo a été remplacé par un centre d’enfouissement moderne situé à Kossihouen, en périphérie de la ville. Avec la Banque mondiale, le gouvernement travaille déjà à l’ouverture d’autres infrastructures pour accroître la capacité de gestion et de tri des déchets. Encore faut-il parvenir à les développer au même rythme que la croissance urbaine. Une gageure comme en témoigne l’état de la lagune Ebrié, asphyxiée par la pollution plastique et le rejet d’effluents industriels et domestiques non traités.

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