Christophe Guilluy, du penseur de la France fracturée à l’homme blessé

Evidemment, c’est un bar-tabac. L’un des seuls autour de la place de la Bastille, à Paris, qui « est un peu resté dans son jus ». Christophe Guilluy donne toujours rendez-vous dans ces lieux qui le rassurent. En 2017, pour l’un des très rares portraits de lui parus dans la presse, il avait entraîné Alexandre Devecchio dans un rade « non gentrifié » de République. Le journaliste du Figaro avait trouvé l’endroit « un peu glauque ». Christophe Guilluy adore ces troquets à l’ancienne, les derniers où l’« on croise les gens ordinaires ». Il y passe ses journées, il y écrit en enchaînant cigarettes et cafés. « Parler à des inconnus m’alimente beaucoup plus que lire un bouquin de sociologie, dit-il. Je n’aime pas le pur esprit, je ne crois pas à ceux qui ne s’expriment qu’en concepts. »

Grand, robuste, impeccable dans sa mise parisienne jean sombre-sweat à capuche-chelsea noires, l’essayiste de 60 ans, pas avare en sourires, ne lâche jamais son interlocuteur du regard. Difficile à interrompre, il parle rapidement, avec beaucoup d’aisance, passe d’une idée ou d’une anecdote à l’autre sans s’encombrer de jargon ou de tournures sibyllines. Son vocabulaire est clair, simple, précis. Direct. Et familier. Au bout de quatorze minutes, il renonce au vouvoiement qui semble le freiner : « Pardon, mais je tutoie tout le monde, ce n’est pas un manque de respect. »

Dix ans après le succès de La France périphérique (Flammarion, 2014), l’auteur a publié, en février, un nouvel ouvrage, Métropolia et Périphéria (Flammarion), dans lequel il revient sur cette formule. Le livre, rédigé sous la forme d’une fable – curieux pour quelqu’un qui s’est d’abord fait connaître pour des essais de géographie –, lui a été inspiré par son ami Jean-Claude Michéa, le philosophe de gauche, exégète de George Orwell, adoré à la fois des lecteurs de gauche et des jeunes conservateurs. « J’en suis arrivé à me dire que je n’allais pas publier encore les mêmes chiffres, compiler des mêmes data… explique Christophe Guilluy. On les connaît et on sait très bien où ça nous mène. »

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