Au temps de Joseph Staline, les Russes adressaient par lettre leurs requêtes au Kremlin. Avec Vladimir Poutine, ils ont pris une autre habitude : publier des vidéos sur les réseaux sociaux. Dernier exemple : les habitants de Lyakhovitsy, petit village dans la lointaine banlieue de Moscou, ont envoyé au chef du Kremlin une vidéo dans laquelle ils expliquent pourquoi la construction d’un nouveau cimetière menace l’écoulement des eaux et les fondations de leurs maisons, et comment les processions funéraires perturberont la santé morale de leurs enfants. « Cher Vladimir Vladimirovitch… Aidez-nous à résoudre ce problème », implorent-ils dans la vidéo.
C’est par cette même formule de courtoisie, utilisant le patronyme du président, que l’hiver 2023-2024 des Russes avaient informé celui-ci des multiples accidents affectant les réseaux de chaleur. Ces pannes avaient plongé dans le froid des foyers situés au fin fond du pays mais aussi à moins de 50 kilomètres du Kremlin. Le régime a encouragé ces appels en orchestrant, une fois par an depuis 2001, une émission télévisée baptisée « Ligne directe » permettant de s’adresser ouvertement à Vladimir Poutine.
En 2024, pour la deuxième fois de suite, elle devrait être fusionnée avec la traditionnelle conférence de presse de Noël du président. En 2023, à la veille de l’émission, plus de 2 millions de questions lui avaient été adressées. Finalement, les équipes du Kremlin satisfont les demandes pour faire passer le message suivant : les autorités locales n’ont pas été efficaces mais, au sommet, Vladimir Poutine est à l’écoute et agit.
« Mettre fin à cette foutue guerre »
Avec l’« opération militaire spéciale » lancée par la Russie en Ukraine en février 2022, l’exercice a pris une autre dimension. En près de trois ans d’offensive, des vidéos de soldats ont étalé au « cher commandant en chef » leurs complaintes : « il y a des pertes injustifiées » ; « nous refusons de combattre avec des fusils d’assaut contre des chars » ; « d’une manière générale, c’est le bordel complet et les hommes meurent »… Avec la même ferveur que mettaient les condamnés des années 1930, dans leurs lettres à Staline, pour obtenir la correction de simples « erreurs », des épouses et des mères de soldats demandent aujourd’hui à Vladimir Poutine que leurs proches soient épargnés ou que les primes promises soient versées.
Ces vidéos, qui critiquent le plus souvent les autorités locales mais ne remettent pas en cause le régime, bousculent la belle vitrine entretenue par les télévisions au service du Kremlin. Alors que, depuis des mois, les télévisions publiques diffusent des reportages sur la reconstruction de Marioupol, l’une des grandes villes de l’est de l’Ukraine annexées par la Russie mais récupérées en ruines après les combats, des habitants ont interpellé Vladimir Poutine pour lui raconter que, contrairement aux promesses, ils n’ont reçu ni compensation ni nouvel appartement. « Comprenez et agissez », ont-ils exigé du président, démunis.
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