Le 23 janvier 1951, Michel Droit n’y va pas par quatre chemins dans Le Monde : ce Charles Aznavour n’a aucun avenir sur scène. Il « écrit d’excellentes chansons mais les interprète bien mal », assène le critique, qui l’a vu lors d’une émission de variétés à la télévision. Le déjà prolixe compositeur n’aurait ni présence ni voix. Tant pis pour celui qui se voyait déjà… Cette première apparition du chanteur dans le journal sonne donc comme une dernière, comme l’enterrement sur papier glacial d’une carrière mort-née. D’ailleurs, le jugement péremptoire du futur académicien est largement partagé à son époque. C’est ce que raconte aujourd’hui le biopic consacré au chanteur qui sort le 23 octobre, Monsieur Aznavour, réalisé par Mehdi Idir et Grand Corps Malade. Le film décrit le long et désespérant combat pour la reconnaissance mené par l’artiste.
C’est encore dans l’ombre, d’Edith Piaf, que Charles Aznavour réapparaît dans les colonnes du Monde, rubrique faits divers, le 17 août 1951. Il est dans la voiture de la chanteuse qui sort de la route vers Tarascon et tombe dans un ravin. La vedette s’en sort avec des côtes enfoncées. Celui qui tente en vain de brûler les planches est présenté quant à lui comme « le compositeur Aznavour ». Un passager clandestin du music-hall, en somme. C’est toujours comme simple compositeur, cette fois de Je hais les dimanches, « interprété par Juliette Grèce » (sic) qu’il revient le 29 août 1951.
Il est encore figé dans ce rôle, le 17 mai 1955, quand Claude Sarraute trousse l’éloge de Patachou à l’Olympia : il est présenté comme l’auteur de Parce que. Un autre soutier de la chanson, un artiste qui galère comme lui à faire entendre sa voix, est également cité : Georges Brassens. Le 25 octobre de la même année, Claude Sarraute loue à nouveau Aznavour (« grand vainqueur de cette soirée »), mais cette fois comme auteur de Gilbert Bécaud.
Au moins apprécie-t-elle les chansons qu’il écrit pour d’autres. Le critique théâtral Robert Kemp beaucoup moins, le 19 décembre 1957, l’assassinant pour une pièce où figurent des morceaux de sa création. « Les lyrics de M. Aznavour deviennent des mélopées traînantes, lugubres, sans émotion ni signification, des plaintes de malades, des nausées… »
En 1958, la voix de sa génération
Le 14 juillet 1958, il est, il reste, toujours, désespérément, « le compositeur Charles Aznavour », même quand Le Monde rend compte de sa procédure de divorce avec sa deuxième femme, Evelyne Pessis. Il faut attendre le 10 octobre 1958 pour qu’arrive enfin la reconnaissance de l’homme de scène, sous la plume de Claude Sarraute. L’article est titré : « Qui est Aznavour ? » Elle répond à la question dès l’introduction : « Aznavour, c’est ce qu’il y a eu de plus important depuis la guerre, la dernière, dans le domaine de la chanson. A l’exception de Brassens, évidemment. »
Il vous reste 58.24% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.