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Histoires Web samedi, juillet 27
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L’AVIS DU « MONDE » – CHEF-D’ŒUVRE

Le titre sonne comme une protestation enfantine – dont nous savons, chacun de nous, ce qu’elle vaut. C’est aussi un art fieffé du contre-pied, spécialement quand l’expression intitule un film qui se présente comme autobiographique. Tout Carax, qu’il s’agisse de lui ou de l’autre, tient dans ce titre qui conjoint l’enfance butée, le bras d’honneur dadaïste, le goût rimbaldien de l’incantation et du mystère. Il se trouve, chose assez rare, que le distributeur Les Films du losange nous propose d’aller découvrir un film de quarante et une minutes et dix-neuf secondes dans lequel Carax – qui n’a rien fait pour le mettre en conformité avec la durée d’une séance – bricole cette chose à la fois bâtarde et ourlée, ouvertement intime, qui, ordinaire caraxien, saigne et rit en même temps.

Ici, histoire de savoir dans quoi on met les pieds, on tranche au bistouri le curriculum de l’artiste. Né à Suresnes (Hauts-de-Seine), d’une mère américaine et d’un père suisse, sous le nom plus commun d’Alex Dupont, voilà soixante-trois ans. A réalisé six longs-métrages en trente ans d’une carrière inaugurée en 1980 par un court-métrage joyeusement intitulé Strangulation Blues. De Boy Meets Girl en 1984 à Annette en 2021, en passant par Les Amants du Pont-Neuf, qui manque ruiner, en 1991, l’industrie du cinéma français, voilà un réalisateur qui éclaire ses personnages – amants souffrant du mal paroxystique des amants – au soleil noir de la mélancolie, n’en cherchant pas moins dans le cinéma la lumière primitive d’un éternel renouveau.

Le couple Denis Lavant-Juliette Binoche l’accompagne dans cette passion. Elle moins longtemps que lui, qui devient l’alter ego du cinéaste à l’écran. Sinon, l’ombre de Jean-Luc Godard (1930-2022), autre romantique, s’appesantit en pleine conscience sur Leos Carax depuis ses débuts – il en est de pires. Lequel peut prétendre sans rougir avoir relevé le flambeau d’un cinéma saturé d’inquiétudes et de beautés, qui ne se sera, ô grand jamais, couché devant rien ni personne, et dont le pays s’appelle la nuit. Cela à sa manière et selon ses moyens propres, dans une sorte de grand mix remontant aux sortilèges du muet, au rayonnement insurrectionnel de l’enfance, au lyrisme étoilé des corps en mouvement. On pourra se lever de bonne heure pour trouver plus habité.

Un art consommé des contraires

De quoi attiser un peu l’intérêt, on le comprendrait à moins, pour les quarante minutes et quelques poussières qui se présentent aujourd’hui à l’attention générale. Tout y commence, comme dans la Bible, par la genèse : une commande par le Centre Pompidou d’un court-métrage destiné à une exposition qui ne s’est jamais faite. Sujet de l’interrogation : « Où en êtes-vous, Leos Carax ? » Réponse de l’intéressé : un grand « merde » vert barrant un écran noir et une voix caverneuse en off – « Si je savais… » – qui semble contrefaire celle du vieux modèle JLG. Ça ne pourrait plus mal – ou plus drôlement – commencer, sauf que le film enchaîne et entreprend, le plus sincèrement qu’il peut pour autant qu’on en puisse juger, de répondre à cette question.

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