ACID
Dans une des plus belles scènes d’A nos amours (1983), Maurice Pialat, qui joue le père de Sandrine Bonnaire, croise sa fille dans l’appartement familial et, inquiet, remarque qu’une de ses deux fossettes a disparu : « Elle est où l’autre ? Tu te rends compte, regarde, on vit avec quelqu’un tous les jours et je ne m’en étais pas rendu compte. » La scène de la fossette, cela pourrait être le manifeste du naturalisme cinématographique : l’obsession pour ce qui disparaît, et l’usage du cinéma comme une manière d’être au plus près de cette disparition. Sous ses atours riants, c’est cette même inquiétude que l’on retrouve chez Sophie Letourneur. Son nouveau film, L’Aventura, qui inaugurait la programmation de l’ACID (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion)mercredi 14 mai, prend la suite de Voyages en Italie (2023), où Sophie (la cinéaste dans son propre rôle) et Jean-Phi (Philippe Katerine) s’offraient une escapade romantique sans les gosses.
Cette fois-ci, ils débarquent et ça fait toute la différence : il y a Claudine (Bénérice Vernet), 11 ans, préado joliment chafouine, mais qui se plie volontiers au rituel maternel qui consiste à « débriefer » les vacances en Sardaigne dans ses moindres détails. Et puis Raoul (Esteban Melero), 3 ans, pur agent du chaos qui trouve heureusement sa place dans un écosystème qui n’aime rien de moins que cela.
Comme à son habitude, la cinéaste refait la vie, lui repasse dessus : le film alterne entre séquences de « débrief » et scènes de vacances en famille jouées à l’oreillette. Car au commencement du geste filmique, il y a toujours une matière sonore : L’Aventura puise dans des bandes-son personnelles remontant à 2016. A partir de ce matériau brut, la cinéaste construit les dialogues, puis le scénario, kaléidoscope de saynètes de vacances en famille et de bouffées de trivialité : l’obsession tout estivale pour les repas, le goût des choses, la recherche d’un sorbet au chocolat noir, la plage, une sieste en famille… Plus trivial encore, les slips troués du conjoint, le caca, rendu omniprésent par la présence de Raoul, le bikini trop petit qu’on s’offre sur un coup de tête, les fesses joufflues des autres femmes – reluquées par Letourneur elle-même.
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