Après huit heures de discussions et l’examen de 248 articles, les sept députés et les sept sénateurs réunis en commission mixte paritaire (CMP), jeudi 30 janvier, ont avancé sans anicroche pour trouver un compromis sur le projet de loi de finances pour 2025, et ont adopté, en fin d’après-midi, la partie « recettes ».
La CMP, qui a commencé ses travaux à 9 h 30 et devrait les poursuivre vendredi, est dominée par les soutiens du premier ministre, François Bayrou, avec huit parlementaires issus des rangs de la coalition gouvernementale. Ces huit voix sont au rendez-vous « à chaque fois », ce qui permet l’adoption des articles « sans modifications significatives », s’est félicité à la mi-journée le député Renaissance Jean-René Cazeneuve, qui siège comme suppléant à la CMP.
La partie « recettes » du budget, qui doit permettre de contenir le déficit à 5,4 % du PIB en 2025, au prix d’un effort budgétaire de 50 milliards d’euros, a été adoptée en fin d’après-midi. La coalition gouvernementale a « un accord en béton » qui ne laisse place « à aucun compromis » avec la gauche, a déploré le président LFI de la commission des finances, Eric Coquerel, qui dénonce « un budget plus austéritaire » que ne l’était celui de Michel Barnier, censuré au début de décembre.
« Sur le fond, ça n’avance pas »
Les parlementaires ont notamment approuvé la limitation à un seul exercice (au lieu de deux) de la contribution exceptionnelle pour les grandes entreprises, objet des critiques du PDG de LVMH, Bernard Arnault. Autre mesure adoptée, la contribution différentielle demandée aux plus hauts revenus en 2025, censée rapporter environ deux milliards. La gauche espérait la voir étendue, voire pérennisée, sans succès. De manière générale, les propositions des socialistes, davantage enclins à voter la censure depuis les propos de M. Bayrou sur la « submersion » migratoire, ont rencontré peu de succès, que ce soit sur la taxe Gafam, la « flat tax », l’exit tax, l’augmentation de la taxe sur les transactions financières ou la taxation des rachats d’action, selon des sources parlementaires.
En signe de protestation face à des discussions où les marges de négociation sont apparues rapidement « extrêmement réduites », avec de « nouveaux reculs » concernant la réduction des dépenses, le représentant PCF à la CMP, Pascal Savoldelli, a décidé de claquer la porte, ont fait savoir les sénateurs communistes dans un communiqué. « Sur le fond, ça n’avance pas », a aussi regretté le député RN Jean-Philippe Tanguy, qui participe aux négociations, agitant la menace d’une censure du gouvernement par le Rassemblement national (RN), qui doit, selon lui, être prise au « sérieux ».
Lors des discussions, a expliqué M. Tanguy, le RN s’est résolument opposé à un article du projet de loi de finances réformant la rémunération d’EDF pour sa production nucléaire, en remplacement du système actuel qui s’éteint le 31 janvier 2025 et qui obligeait l’électricien à vendre à prix cassé une partie de son électricité. Cette disposition pourrait provoquer un doublement du prix de l’électricité issue du nucléaire, ce qui pèserait sur les ménages et aggraverait la désindustrialisation, a argumenté M. Tanguy. Dans ces discussions budgétaires, le RN a certes été « bien mieux traité » sur la forme par M. Bayrou que par son prédécesseur, Michel Barnier, a-t-il convenu. Cependant, « sur le fond, ça n’avance pas », notamment concernant la politique migratoire, pour laquelle l’exécutif n’a donné « aucun gage, bien au contraire », selon le député d’extrême droite.
Ne pas faire « la courte échelle à Marine Le Pen »
Un sujet épineux pourrait envenimer les choses, celui de l’aide médicale d’Etat (AME), réservée aux étrangers en situation irrégulière. Selon des sources parlementaires, la CMP devrait acter la diminution des crédits alloués à l’AME, de 200 millions d’euros sur 1,3 milliard, une « ligne rouge absolue » pour le PS, selon le député Philippe Brun, négociateur PS à la CMP. Mais sous couvert d’anonymat, un responsable PS se montre plus conciliant : « On va être vigilant sur une chose, qu’ils ne sabrent pas le budget. En tout cas, s’il est sabré, que les critères de l’AME ne changent pas. »
Plus généralement, faute d’ouverture vers la gauche, « il y aura une censure », avait prévenu jeudi matin le député PS Philippe Brun. « Nous sommes très ouverts au dialogue. J’attends maintenant des macronistes, des [Républicains], d’être aussi ouverts pour trouver un chemin avec nous », a ajouté M. Brun. Interrogé sur les lignes rouges de son parti, il a affirmé que le PS ne laisserait « pas passer » un « budget d’austérité » ; qui « sabre dans les services publics de manière importante » ; qui ne mettrait « pas en place davantage de justice fiscale » ou qui « sacrifierait l’écologie ». Les négociations entre le gouvernement et le PS, engagées depuis plusieurs semaines, s’étaient interrompues mardi après la sortie de François Bayrou sur « le sentiment de submersion » migratoire, selon lui, ressenti par les Français.
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Les socialistes décideront de manière « autonome » de voter ou pas la censure, indépendamment de l’attitude du RN, a, de son côté, souligné le député (PS) Arthur Delaporte. « Nous verrons en fonction de ce qui sortira de la CMP et de l’évolution de la politique du premier ministre », a résumé M. Delaporte, rappelant les deux exigences « cumulatives » de son parti : un budget qui ne « dégrade » pas la vie des Français, et un gouvernement qui ne fasse pas « la courte échelle à Marine Le Pen ».
Le président de Renaissance, Gabriel Attal, qui avait souhaité après la chute de Michel Barnier que le socle commun sorte de la tutelle du RN, a apporté mercredi son soutien à François Bayrou dans sa recherche d’un accord avec les socialistes. « Personne, aucun groupe politique n’est totalement satisfait par ce budget. C’est peut-être la preuve qu’il y a une forme de compromis », a jugé l’ancien chef du gouvernement.
Si les quatorze parlementaires parvenaient à un compromis, celui-ci serait soumis la semaine prochaine aux deux Chambres du Parlement. Mais, faute de majorité à l’Assemblée pour le faire adopter, le premier ministre devrait alors recourir à l’article 49.3, s’exposant à la censure des députés.
Sur l’AME comme sur l’article 4, des arbitrages sont toujours possibles jusqu’à lundi pour le gouvernement.