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Le travail de mémoire sur l’Algérie et la colonisation française est « indispensable », mais il ne suffira pas à lui seul à résoudre la crise « inédite » que Paris et Alger traversent depuis bientôt dix mois, insiste l’historien Benjamin Stora dans un entretien avec l’Agence France-Presse.

Ce travail est « un élément possible de sortie de crise, de toute façon indispensable, de toute façon nécessaire, parce qu’on ne peut pas (…) considérer que cette histoire algérienne est comme toutes les autres histoires », juge-t-il, rappelant les massacres commis par la France entre 1830 et 1880 pendant la colonisation de l’Algérie, méconnus par de nombreux Français.

Mais « on ne peut pas régler par un seul discours, par un seul geste, des rapports qui ont duré 132 ans. C’est très long, 132 ans. C’est sur six générations », analyse ce spécialiste de l’Algérie, auteur de multiples ouvrages dont une bande dessinée, Les Algériens en France.

« Flamme d’une mémoire douloureuse »

Le soutien, le 30 juillet 2024, du président, Emmanuel Macron, au plan d’autonomie sous souveraineté marocaine du Sahara occidental, a précipité les deux pays dans une crise profonde alors que cette ancienne colonie espagnole, contrôlée en majeure partie par le Maroc, est revendiquée depuis cinquante ans par les indépendantistes sahraouis du Front Polisario, soutenus par l’Algérie.

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« Il aurait fallu peut-être discuter. Ça n’a pas été le cas. » « On s’est installés malheureusement dans cette incompréhension », explique l’historien. Désormais, « il faut être patient et avancer pas à pas (…) avec la volonté politique de régler » cette crise « dans la longue durée », poursuit-il, rappelant que la relation entre la France et l’Algérie a été « sans arrêt parsemée de troubles, de cycles », « d’allers-retours entre crispations et dégel ».

Cette fois, c’est « totalement inédit », reconnaît-il, car elle « s’installe dans la durée », qualifiant les tensions actuelles de « crise la plus importante depuis l’indépendance de l’Algérie, en 1962 ». Elle s’éternise d’autant plus qu’en France, comme en Algérie, il y a « des personnes, des organisations, qui ont intérêt à ce que les choses ne se passent pas toujours très bien », estime-t-il. Et de citer le ministre de l’intérieur français, Bruno Retailleau, qui a fait « une grande partie de sa campagne » pour la présidence du parti Les Républicains en appelant à l’« extrême fermeté » vis-à-vis d’Alger.

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« Du côté algérien, il y a aussi (…) des personnes qui estiment qu’il faut rompre le lien avec la France » même s’ils ne sont pas majoritaires, affirme-t-il. « Il est évident qu’il y a (…) des batailles politiques, où chacun (…) trouve un peu son compte (…) en entretenant la flamme d’une mémoire douloureuse. » « On empêche la cicatrisation de la plaie », qui « se ravive à chaque fois ».

Il n’exclut pas que l’Algérie puisse être un sujet lors de la prochaine campagne présidentielle, dans deux ans, comme cela avait été le cas en 2007. Nicolas Sarkozy « avait fait en grande partie sa campagne sur l’Algérie française ».

Poursuivre le travail de mémoire

La mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie, c’est « un peu comme des fantômes dans les placards ». « On a l’impression qu’on a tout fermé. On a tout cadenassé, mais ça s’échappe quand même, la mémoire revient quand même. »

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S’il ne voit pas de sortie de crise à brève échéance quand bien même la France consentirait à de nouveaux gestes mémoriels, il estime « très difficile d’entrevoir une rupture diplomatique au sens classique du terme », avec fermeture d’ambassade de part et d’autre, en raison de l’imbrication profonde des deux sociétés. « Des centaines de milliers de personnes (…) circulent sans cesse entre la France et l’Algérie ou entre l’Algérie et la France », fait-il valoir.

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L’historien prône inlassablement de poursuivre ce travail de mémoire pour conduire à l’apaisement. La France a déjà reconnu l’assassinat, par l’armée française, de dirigeants algériens et d’intellectuels français, dont Maurice Audin, Ali Boumendjel et Larbi Ben M’hidi. Mais, pour l’heure, elle se refuse à reconnaître ses crimes coloniaux.

« Il faudrait des gestes forts, notamment sur la question du XIXe siècle », admet Benjamin Stora. Mais « aujourd’hui, selon moi, envisager la possibilité de gestes mémoriels [pour sortir de cette crise], ce serait une sorte de substitut à une reprise de lien politique », incontournable pour régler les questions migratoires ou celle des visas. « A mon sens, le point le plus important va être le problème de la circulation des personnes entre les deux rives de la Méditerranée. »

Le Monde avec AFP

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