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Histoires Web jeudi, décembre 12
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On ne sait pas ce que Sébastien Kheroufi murmure à l’oreille de ses comédiens lorsqu’il les prend à part pour évoquer, avec eux, la scène qu’ils viennent de répéter. Agenouillé en bord de plateau, il regarde à peine ce qu’il se passe sous ses yeux. Sa main ondule, ses doigts claquent. Il écoute. « Je ne dirige qu’à l’oreille. Une fois que la phrase sonne juste, je peux observer les acteurs », confie le metteur en scène de 32 ans dont le spectacle, Par les villages, est programmé dans le cadre du Festival d’Automne au Centre Pompidou à Paris, puis, en janvier, au Théâtre des Quartiers d’Ivry (Val-de-Marne).

Lire la critique : Article réservé à nos abonnés « Par les villages » ou le difficile retour du transfuge de classe

Découvert en 2023 avec une première mise en scène rugueuse et déterminée de l’Antigone, de Sophocle, cet artiste franco-algérien n’a pas de temps à perdre. « Si je me plante, je foire ma vie. » Il se tait, puis insiste : « C’est vrai ! » Né dans les quartiers populaires des Hauts-de- Seine, Sébastien Kheroufi est élevé par sa mère. L’un de ses frères est incarcéré, l’autre abandonne le foyer familial. A 17 ans, le jeune homme retrouve son père mort dans un foyer Emmaüs : « Cette vision a tué l’enfant en moi. » Il frôle de près la délinquance : l’argent facile et l’état d’urgence permanent. Miracle des rencontres et des confiances accordées, une échappée belle s’offre à lui. Il ne laisse pas s’enfuir la chance. Un « grand de la cité » l’héberge à Londres, il y découvre le cinéma et, faute de parler l’anglais, se raccroche « aux lumières, à la musique, à la carrosserie des films ». Retour en France.

Dans un conservatoire de banlieue, des femmes l’incitent à préparer l’Ecole supérieure d’art dramatique de Paris. Il est pris. Les nuits, il dévore avec « la rage de l’inculte » les pièces de Heiner Müller ou Thomas Bernhard. Par les villages, de Peter Handke, est la première qu’il lit en entier. Nasser Djemaï, directeur du Théâtre des Quartiers d’Ivry, le programme. « Il a eu ce courage. S’il n’avait pas été là, j’aurais pu tout abandonner. » Sébastien Kheroufi sait ce qu’il doit et à qui. Il sait aussi ce à quoi il ne veut pas être réduit : « Je refuse d’être le porte-parole de la misère sociale. Je ne défends que la poésie. Mon acte de création a beau partir d’une colère, le théâtre n’est pas une thérapie. Je veux surpasser mon identité et mon histoire. »

Explorateur attentif

Les mots de Handke l’encouragent. « Je ne me plains pas, je porte plainte », assène la Vieille Femme qu’incarne Anne Alvaro. L’actrice a déjà dit ces mots voici un an, lorsque Kheroufi a créé une première mouture du spectacle au Théâtre des Quartiers d’Ivry. Elle voulait être cette « figure de coryphée, déesse tragique » qui nomme les désastres. Elle tourne en rond dans les lueurs rasantes des projecteurs : « Je trace un cercle chamanique. Je me tiens à la lisière d’un cimetière. Au seuil d’une frontière au-delà de laquelle il n’y a plus rien. » Le sol est tapissé d’un sable noir sur lequel se dresse une cage de verre : c’est une cabane de chantier avec ses lits en fer superposés, son réchaud à gaz, son magnétophone à cassettes. L’endroit où travaille Hans, un ouvrier à qui Gregor, son frère écrivain, vient réclamer sa part d’héritage.

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