« Quand l’amour parle, il est le maître, et il parlera. » L’homme qui le dit est un valet nommé Dubois, et il est le deus ex machina de ces Fausses Confidences. Chez Marivaux, l’amour parle, se parle, se dit autant pour s’avouer que pour se travestir, peut-être n’existe-t-il que parce qu’il se parle, dans une forme de performativité des mots. Les jeux de l’amour sont d’abord des jeux du langage, qui masque ou trompe autant qu’il dévoile. La langue est première chez le maître de l’amour français, et c’est d’abord elle qu’Alain Françon fait entendre, merveilleusement, dans ce spectacle limpide et subtil.
Rien de spectaculaire ici. Comme un maître zen, Alain Françon semble d’un spectacle à l’autre épurer son geste, poussant toujours plus loin son travail, devenu rare de nos jours, d’héritage vitézien, sur la manière dont la langue traverse le corps des acteurs, laissant affleurer aussi bien les non-dits que les dits de ce qui se joue. Et si l’ensemble de la représentation coule avec évidence, c’est que le mélange de naturel et de théâtralité au cœur de l’art de Marivaux est dosé de manière si parfaite que justement il ne se voit plus.
Que se joue-t-il ici, dans cette nouvelle variation sur la machination matrimoniale chère au divin Marivaux ? En sa demeure, Araminte, jeune veuve aussi belle que richissime, va être l’objet d’une étrange conspiration. Ayant besoin d’un nouvel intendant, elle se voit recommander par son oncle un jeune homme, Dorante, qui n’a pas réussi comme avocat et connaît un revers de fortune. En réalité, Dorante cherche à entrer dans la place pour conquérir la belle, dont il se dit fou amoureux, depuis qu’il l’a croisée un soir à l’opéra.
Dorante (« d’or, hante », dirait un mauvais jeu de mots lacanien) est-il vraiment « timbré d’amour », est-il plutôt attiré par la position sociale d’Araminte, ou l’amour et le désir social se mêlent-ils, comme il en est souvent dans la vie ? Il n’y aura pas forcément de réponse. Un homme tire les ficelles, qui, lui, veut absolument que son poulain (son pantin ?) devienne le maître des lieux : Dubois, valet de Dorante, qui a autrefois servi chez Araminte. Que joue-t-il là-dedans ? Quel est son désir ? Ce désir est-il dirigé vers l’or, vers Dorante, vers Araminte ? Est-ce le seul plaisir du manipulateur ?
En attendant, Dubois permet à Marivaux de déployer sa machination théâtrale, à coups de billets doux, de portraits cachés et de fausses confidences tous azimuts. Autant de coups de théâtre réjouissants par lesquels il décline, avec un brio étincelant, les thèmes du double, du masque, de l’image de l’aimé(e) telle qu’on la construit comme une fiction.
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