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Histoires Web lundi, juillet 8
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Et quand on croit que c’est fini ou presque, que le public commence à se lever, à vaguement applaudir ou huer léger, sans trop savoir où il en est, quelque chose d’incroyable surgit. Autour de la flaque noire gisant dans l’obscurité sur le plateau du cloître des Célestins, un spectateur, puis deux, puis un groupe s’agglutinent lentement, l’observent tout en faisant cliquer leur téléphone. Pendant que le cercle spontané grossit, d’autres personnes discutent dans les gradins. La nuit s’allonge devant nous et le temps se fige curieusement.

Ce mouvement de foule aux airs de veillée funèbre – une expérience jamais vécue jusqu’alors – entoure le corps d’une femme ripolinée de noir jusqu’au visage et pétrifiée dans la pose où la mort l’a saisie. Elle, c’est la chorégraphe La Ribot, personnalité de la scène contemporaine depuis le milieu des années 1980. En duo avec Juan Loriente, elle interprète ici Jeanne Ire de Castille (1479-1555), longtemps appelée « Juana la Loca » (« Jeanne la Folle »), reine d’Espagne enfermée durant quarante-six ans, dont l’artiste suisso-espagnole revisite l’aliénation dans Juana ficcion. Imaginée en complicité avec le chef d’orchestre Asier Puga, cette création, dont la partition musicale d’Iñaki Estrada se révèle aussi époustouflante que l’incarnation visuelle ne convainc pas, s’offre en tout cas une conclusion en apothéose féministe.

Décollement narratif

D’emblée, en pénétrant dans le cloître des Célestins, on sait que la danse sera réduite à sa plus stricte expression. Entre les deux magnifiques platanes, des sièges et des pupitres occupent le lieu et attendent les sept instrumentistes ainsi que les quatre chanteurs. Au centre, une petite surface se rétrécit vite à un tabouret, sur lequel La Ribot se juche en déséquilibre, resserrant tel un confetti l’espace physique et mental de son héroïne. A la mort de son mari Philippe le Beau, Jeanne Ire de Castille fut emprisonnée dans le palais de Tordesillas, avec l’accord de sa famille et de son fils Charles Quint.

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De ce récit, La Ribot, qui avait déjà conçu un spectacle sur le sujet en 1992 sous le titre d’El triste que nunca os vido, avec le même acteur, opère un tel décollement narratif qu’il devient difficile d’y inscrire sa fiction personnelle. Harnaché par un geôlier, circulant à bicyclette, évoluant nu dans une vidéo seulement visible sur les téléphones portables – d’où une certaine dissipation parmi les spectateurs qui ne réussissent pas à scanner le QR code –, le personnage manque d’épaisseur et de consistance.

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