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Histoires Web mercredi, novembre 13
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Rappeur, compositeur et musicien, Gaël Faye est surtout devenu célèbre par son premier roman, Petit pays (Grasset), qui remporta, en 2016, de nombreux prix, dont le Goncourt des lycéens, et fut adapté au cinéma. Il y racontait le terrible génocide des Tutsi au Rwanda, dont sa mère est originaire. Pour son deuxième roman, Jacaranda (Grasset, 288 pages, 20,90 euros), il vient, à 42 ans, de recevoir le prix Renaudot 2024.

Je ne serais pas arrivé là si…

… Si je n’étais pas allé voir au théâtre, à la veille de mon baccalauréat, en juin 2000, le spectacle Rwanda 94. Mon meilleur ami, qui n’est pas rwandais, m’avait offert une place, et nous avions tous deux pris le train jusqu’à Lille pour voir cette pièce d’une compagnie belge, le Groupov. Elle durait six heures, mais c’est comme si elle avait chassé le brouillard qui existait depuis toujours dans ma vie.

Comment une pièce de théâtre peut-elle provoquer une telle déflagration ?

Elle m’a permis de mettre des mots sur le silence qui régnait dans ma famille. J’avais quitté le Burundi en 1995, à l’âge de 13 ans, pour arriver en France chez ma mère, qui habitait à Versailles, et nous n’avions jamais pu parler de ce passé où les mots « conflits », « génocide », « massacre » s’entremêlaient confusément. Ni de la guerre que ma sœur et moi avions vécue. Jusque-là, j’avais posé des questions et l’on ne me répondait pas. Cette pièce a produit sur moi un tel choc que j’ai dû la revoir cinq ou six fois, entraînant des amis avec moi.

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Que racontait ce spectacle ?

La pièce démarrait par le témoignage d’une rescapée. Sur un plateau vide, une femme s’asseyait sur une chaise et, s’adressant à la salle, elle racontait son histoire, comment on avait tué ses enfants pendant le génocide. C’était d’une intensité incroyable, qui m’a permis de prendre la mesure de cet événement, de comprendre qu’un génocide s’ancre d’abord dans une idéologie. Que ce génocide n’était pas une affaire de conflits séculaires entre Hutu et Tutsi. Il ne reposait pas non plus sur une différence physique, ce que l’on m’avait pourtant toujours raconté, entre les Tutsi, présumés grands et minces, et les Hutu, présumés petits et trapus.

Comme dans un cours magistral, cette pièce montrait comment le racisme biologique européen du XIXe siècle a plaqué sur la société rwandaise une grille de lecture raciale, assortie de mesures anthropométriques pour mesurer les nez et catégoriser les Rwandais. Comment Hutu et Tutsi, qui étaient des groupes sociaux, ont été mués en catégories raciales. Comment la carte d’identité ethnique est arrivée dans la société rwandaise, en 1931, et a figé à ce moment-là le regard des Rwandais sur eux-mêmes. D’un coup, j’ai compris l’histoire de ma mère…

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