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Histoires Web lundi, septembre 30
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Audrey Millet, historienne, chercheuse à l’Université métropolitaine d’Oslo (OsloMet) et au laboratoire Anthropologie du travail de l’université de Bologne, est experte de l’écosystème de la mode. Dans son dernier livre, L’Odyssée d’Abdoul. Enquête sur le crime organisé (Les Pérégrines, 272 pages, 20 euros), elle décrypte les mécanismes des trafics d’êtres humains, entre l’Afrique subsaharienne et l’Italie, en racontant le parcours d’un tailleur ivoirien, Abdoul, qui lui a confié son histoire après s’être installé à Prato (Toscane), une cité du textile en proie à l’emprise des Mafias.

Plutôt qu’une approche académique globale, vous racontez la criminalité organisée et les réseaux de passeurs en suivant un personnage, Abdoul, en fil rouge. Pourquoi avez-vous fait ce choix ?

Pour écrire ce livre, je n’ai en réalité pas choisi. C’est Abdoul qui a fait son choix en me confiant son histoire, en me donnant toutes les informations sur sa trajectoire – une trajectoire sans limite, qu’il nous fait suivre. J’ai dû moi-même éclater les limites de mon métier d’historienne. Normalement, le point de départ est un fait, une date, une action. Là, en partant de mes discussions avec Abdoul comme première source, je devais effectuer un travail de vérification complexe, méthodologiquement très exposé. Ce travail éclate aussi l’essai historique, puisque Abdoul n’est pas une archive. Certains ont pensé qu’il s’agissait d’un roman. Mais ce n’est pas un roman. En revanche, c’est aussi romanesque que la vie d’Abdoul.

Tout au long de l’ouvrage, le lecteur est transporté d’Abidjan jusqu’à Prato, en passant par Agadez, au Niger, et les camps libyens. Qu’ont en commun ces lieux, aux réalités géographiques si différentes ?

Le point commun de tous ces endroits est l’exploitation et la mise en esclavage des gens. En réalité, la Camorra, la ’Ndrangheta, Cosa Nostra, les groupes nigérians « Cults » et les chinois Wenzhou partagent aussi ce point commun : exploiter l’être humain pour le « business », au moindre coût. Au fil du livre et du parcours d’Abdoul, toutes ces mafias arrivent petit à petit. Mais Abdoul, lui, ne s’est pas rendu compte qu’il a été kidnappé. A ce moment-là, peut-être est-ce simplement une mauvaise personne qui est devant lui et lui propose un travail, et pas un groupe criminel plus ou moins structuré.

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Toutes ces mafias sont imbriquées comme une chaîne de vélo : s’il y a un maillon de la chaîne qui saute, vous tombez. La personne qui lui dit : « J’ai du boulot pour toi », c’est le premier maillon, le premier exploitant. Il propose un travail qui ne sera pas payé, avant que commence la route pour Agadez, le point névralgique des trafics. A partir de là, tout le monde est connecté, et les criminels se servent mutuellement. Même à Prato, qui est comme un gâteau : il y a une part pour les Wenzhou, une pour la mafia nigériane, une pour la Camorra, une pour la ’Ndrangheta. Et la cloche qui recouvre tout cela, ce sont les multinationales.

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