FRANCE 2 – JEUDI 6 FÉVRIER À 21 H 05 – ENQUÊTE
Elle a fait récemment la une de l’actualité avec le milliard d’euros de dividendes versé par Decathlon ou encore les suppressions d’emplois annoncées à Auchan. Mais rien ne lui déplaît davantage que de prendre la lumière. La famille Mulliez, qui préside aux destinées de près de 130 marques, dont une galaxie d’entreprises très populaires (Auchan, Boulanger, Decathlon, Leroy-Merlin, Kiabi, Flunch…), est décortiquée dans une enquête de « Cash Investigation ». De par leur discrétion sectaire et un poids estimé à 10 % du commerce français, les Mulliez génèrent tous les fantasmes.
Pendant plus d’un an, Gabriel Garcia et son équipe ont exploré, non sans difficulté, les rouages de l’empire Mulliez, une famille chrétienne du Nord multimillionnaire dont l’opacité se résume à l’un de ses adages : « Le bruit ne fait pas de bien, le bien ne fait pas de bruit. » Jusqu’à frapper aux portes de membres de la famille : de Franky Mulliez, 77 ans, le fondateur de Kiloutou, qui se décrit comme un « mouton noir », car il « assume de montrer toute sa réussite » ; à Patrick Mulliez, le fondateur de Kiabi, exilé comme d’autres en Belgique afin de fuir l’ISF. A Néchin, la route à la frontière franco-belge jalonnée de propriétés de membres de la famille est appelée le « boulevard des Mulliez », indique l’un de leurs voisins dans le reportage.
La réussite de cet empire familial trouve son origine grâce à l’industrie textile roubaisienne de leurs aïeuls et à la création de Phildar, leader historique du fil à tricoter. Au fil des ans, détaille le magazine, les descendants, de génération en génération, ont créé de grandes enseignes qui accompagnent les Français dans leur quotidien. Cela en déclinant un modèle : le concept discount d’Auchan, que le patriarche, Gérard Mulliez (né en 1931), a importé des Etats-Unis en 1960.
Travail forcé des Ouïgours
L’ensemble de leurs entreprises est détenu par une organisation unique en son genre, l’Association familiale Mulliez (AFM), un pacte actionnarial liant 1 550 membres familiaux, dont le fonctionnement se résume en une phrase : « Bénéfices connus égalent bénéfices perdus », confie, sous le couvert de l’anonymat, aux journalistes une source qui a travaillé au plus près d’eux. Un système dans lequel, au prix d’évictions, notamment lors des divorces, « les Mulliez s’assurent que les affaires restent en famille », souligne le reportage.
Le documentaire nous fait pénétrer au cœur des réunions de l’AFM, aux allures de grandes cousinades, où les patrons des entreprises viennent rendre des comptes et les résultats économiques et stratégiques sont présentés aux membres de la famille. Ce qui permet de cerner l’ampleur de la fortune professionnelle des Mulliez, et les dividendes versés à 900 de ses membres. Des sommes qui se chiffrent à plusieurs centaines de millions d’euros et qu’ils sont, précise la voix off, « invités à réinvestir dans les entreprises familiales ».
« Cash Investigation » remonte aussi, avec le média Disclose, à la source du succès de Decathlon, l’enseigne phare des Mulliez qui concurrence les grands équipementiers dans les principaux championnats sportifs : des petits prix obtenus grâce à une analyse très fine des coûts de production et de gros volumes de fabrication au Bangladesh, au Vietnam, ou en Chine. On découvre au passage l’envers du décor de ces sous-traitants chinois soupçonnés d’être impliqués dans le travail forcé des Ouïgours.
Au milieu d’un enchevêtrement de structures capitalistiques qui stupéfie la journaliste Elise Lucet, le magazine aborde également la question récurrente du reclassement des salariés, au sein d’une galaxie d’entreprises, juridiquement distinctes, qui se défendent de faire partie d’un groupe. « Ce serait légitime » que les personnes, qui vont perdre leur emploi chez Auchan, « puissent être reclassées dans les autres enseignes du groupe, estime Gilles Martin, le délégué CFDT d’Auchan. Elles ont les compétences. » Mais la réponse que lui font ses dirigeants est toujours la même : « Ce sont des entreprises séparées. » Auchan, « c’était une entreprise paternaliste », rappelle le syndicaliste, ce qui, selon lui, n’est plus le cas aujourd’hui.
Auchan, Decathlon… Les secrets d’une famille en or, enquête réalisée par Gabriel Garcia (Fr., 2024, 110 min). Diffusée sur France 2 dans le cadre du magazine « Cash Investigation » et disponible en replay sur France.tv jusqu’au 11 novembre.