« Hélas ! », soupire Antiochus à la toute fin de Bérénice. Hélas, hélas, pourraient soupirer tout aussi bien Titus et Bérénice. Hélas, pourrions-nous aussi exhaler dans un souffle, face à ce qui ressemble à un rendez-vous manqué, entre le grand metteur en scène flamand Guy Cassiers et le chef-d’œuvre de Jean Racine. De retour à la Comédie-Française, dans sa salle du Vieux-Colombier, le triangle amoureux fatal, qui ne laisse sur ses traces que des cendres, reste ici désincarné.
Guy Cassiers, aujourd’hui âgé de 64 ans, a été un des pionniers d’un théâtre multimédia et multisensoriel, mêlant le texte avec les technologies les plus pointues de l’image et du son, et il a écrit certaines des plus belles pages du théâtre européen des années 2000 et 2010, en adaptant aussi bien Marcel Proust que Les Bienveillantes de Jonathan Littell. Et l’on retrouve cette sophistication scénique, cet amour profond pour la littérature, dans cette Bérénice qui s’offre d’emblée comme une cosa mentale.
Le metteur en scène inscrit les protagonistes dans une antichambre, un espace de passage à la beauté contemporaine, tout de béton brut, de parois coulissantes et de surfaces de projection. Une abstraction qui déjoue tout réalisme pesant, et met en son centre une mystérieuse sculpture en (faux) marbre, non figurative, évoquant un buste de femme stylisé. Les personnages de cette épure tragique sont dans un entre-deux, aussi bien amoureux que politique. La scène est à Rome, en 79 de notre ère. Titus rentre de Judée, où il a écrasé la révolte des juifs et détruit le temple de Jérusalem. Il va être proclamé empereur et doit épouser Bérénice, la reine de Judée, qui l’aime et qu’il aime, et qui l’a suivi à Rome.
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