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En 1992, les koras modernisées par les moines de Keur Moussa avaient résonné pour l’accueil du pape Jean-Paul II à Dakar. Elles ont été célébrées à Los Angeles par les Grammy Awards décernés aux musiciens maliens Toumani Diabaté et Mamadou Diabaté. Mais reste la question fondamentale : comment une congrégation de frères bénédictins originaire de la Sarthe en est venue à fabriquer des koras dans un village proche de Dakar au nom prédestiné, « Keur Moussa » signifiant « la maison de Moïse » en wolof ?

Sans le concile Vatican II, les chemins de ces religieux et de cet instrument de musique né il y a huit siècles dans l’empire mandingue ne se seraient sans doute jamais croisés. Alors que le monde catholique a les yeux rivés sur Rome, en 1962, l’un des fondateurs du monastère, le frère Dominique, treizième et dernier enfant d’une lignée de mélomanes et de musiciens, se voit « missionné » par son supérieur : trouver tout ce qui pourrait se conformer à l’un des enseignements majeurs de Vatican II et à sa « liturgie en inculturation ». En clair, africaniser le rite.

Magnétophone sous le bras, le voilà parti à la recherche de sonorités locales. « Je vais d’abord dans une radio sénégalaise et j’entends un indicatif pour les nouvelles avec une musique vraiment très belle, expliquait-il en 2016, deux ans avant sa mort, dans un documentaire sur Radio France internationale (RFI). Ce n’était ni une guitare, ni une harpe. Qu’est-ce que ça pouvait bien être ? » Le disciple de l’ordre de Saint-Benoît tombe en pâmoison devant le son cristallin sorti de la kora et de son ventre rebondi – une calebasse –, considéré comme le cœur de cet instrument classé dans la famille des harpes.

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Après sa relation au divin, la kora devient l’obsession du frère Dominique. « Jusqu’à ne plus en dormir », disait-il. L’autodidacte y consacre ses jours et ses nuits. Lui qui n’avait jamais appris le solfège écrit 71 partitions pour accompagner à la kora les 150 psaumes chantés par les frères venus de France et de pays africains. « Il a même composé au son du muezzin », se souvient le frère Jean-Marie.

Révolution technologique

En parallèle, le petit-fils du romancier René Bazin et une poignée de moines, fidèles à leur devise, « Ora et Labora » (« prie et travaille », en latin), s’attellent à la fabrication de koras. Un sacerdoce. « Nous avons dû changer les techniques de conception traditionnelle à plusieurs reprises », souligne le frère Lazare, responsable de l’atelier, où la poussière semble être due autant au travail du bois qu’au sable charrié par un vent d’harmattan insistant : « Un jour comme celui-ci, l’accordage est imprécis sur les anciennes koras. »

L’air sec et la chaleur souvent extrême faisaient « parfois sauter en pleine messe les cordes en boyau de la kora », rit-il. Place aux cordes en fil de pêche et fini les anneaux encordés ; des clés en bois comme celles des violons sont installées. Mais avec ce fichu climat, c’est peine perdue… « Elles aussi ont cédé et on a eu l’idée de mettre des clés métalliques de guitare, précise le frère Lazare. Là encore, elles n’ont pas résisté. La graisse des clés a durci et on ne pouvait plus les tourner. »

Au cours des huit années de travail de modernisation, les moines de Keur Moussa vont être épaulés par des ingénieurs de l’Ecole polytechnique de Thiès, à une vingtaine de kilomètres. Bref, la kora est réinventée. Les nouveautés apportées par les religieux se situent dans une hampe agrandie pour « ne pas plier » sous le poids des 250 kg de pression dus à l’accordage. Celle-ci est désormais fabriquée en bois de vène, « plus résistant et sonore », mais « plus rare à cause de la déforestation illégale des Chinois », enrage le frère Lazare.

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Enfin, pour tenter de « mettre fin à la monotonie » des chants grégoriens, le frère Dominique a eu l’idée d’installer des leviers chromatiques afin de jouer les demi-tons et 42 notes avec les 21 cordes, ce qui leur permet « d’être en mineur à l’Avent et au Carême » alors que le reste de l’année, « les psaumes sont joués en majeur ». Cette petite révolution technologique va assurer leur succès.

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Des grandes familles de musiciens s’arrachent aujourd’hui les koras des frères de Keur Moussa. Numérotées et étoilées comme les restaurants du guide Michelin, elles se vendent entre 600 et 1 200 euros pièce. Les trésors sont désormais conçus par Jean Mendy, un laïc. En cette mi-décembre, il s’affaire à emballer d’une mousse bleue le 2 275e exemplaire, destination la France. L’histoire ne dit pas si ce cadeau, quelque peu imposant, sera déposé sous le sapin de Noël.

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