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Dans les boutiques de proximité du Sénégal, le lait est en tête de rayon. On le vend en poudre, en bouteille, en brique ou dans de petits sachets en plastique. Les emballages de nombreuses marques intègrent des symboles du pays : zébus fins dotés d’une légère bosse et bergers coiffés d’un « tengade », le chapeau des pâtres peuls. Pourtant, beaucoup des contenus ne sont pas produits à base de lait local. Depuis une dizaine d’années, entre 60 et 70 % des besoins sont comblés par l’import.

Selon le ministère de l’agriculture, le Sénégal dépense au moins 65 milliards de francs CFA (près de 100 millions d’euros) chaque année pour importer l’équivalent de 300 millions de litres de lait, principalement de l’Union européenne (UE). Des chiffres en deçà de la réalité, selon plusieurs chercheurs interrogés par Le Monde. Mabouba Diagne, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de l’élevage, dit vouloir inverser la tendance. « En route vers l’autosuffisance en lait ! », a-t-il énoncé dans un communiqué, le 10 janvier, alors qu’il était en visite en Ouganda pour découvrir l’expérience de ce pays en la matière.

« Le lait est un peu devenu un symbole, explique Oumar Sow, éleveur dans la région de Dakar. On en consomme de manière traditionnelle et les besoins ont crû avec l’urbanisation. Toutefois, la dépendance aux importations est énorme. » Lui produit tous les jours plusieurs dizaines de litres, qu’il tire de quatre vaches venues de France et qui se sont acclimatées au Sénégal. L’Etat l’a aidé à acquérir ces bovins. Aujourd’hui, il essaie d’acheter les machines pour pasteuriser lui-même son lait et le vendre directement aux grandes surfaces. « Mais il est difficile d’investir, dit-il. Le fourrage coûte déjà très cher et semble avaler tout l’argent… »

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Les nouveaux dirigeants du pays, qui placent la souveraineté alimentaire au premier rang de leurs promesses, ne manquent pas de communiquer sur la filière lait, sujet d’apparence technique. « Je suis pour l’augmentation des taxes sur le lait importé », déclarait le 10 janvier Mabouba Diagne dans les pages du journal public Le Soleil. Dans le viseur du ministre, les fameuses « poudres lactées MGV » (matière grasse végétale), des substituts de lait obtenus par un mélange de lait écrémé et de matière grasse végétale, souvent de l’huile de palme, qui reviennent environ 30 % moins cher que le lait local. Elles représentent 40 % des importations de produits laitiers en Afrique de l’Ouest.

« Le lait va manquer, mais on va s’en sortir »

« Ces importations empêchent l’investissement dans le secteur laitier », dénonce Ousmane Ndiaye, président du comité de l’interprofession laitière du Sénégal, qui a conseillé au ministre de revenir sur le tarif extérieur commun (TEC) de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), qui taxe « seulement » à 5 % le lait en poudre venu de l’étranger. Le professionnel est d’autant plus alarmé que des discussions entre l’UE et la Cedeao envisagent régulièrement une suppression des droits de douane pour les poudres de lait.

Se défaire du TEC ? La question divise les spécialistes. Serigne Moussa Dia, professeur d’économie à l’université Alioune-Diop, y est favorable : « On ne pourra pas bâtir de secteur fort avec une telle concurrence », estime-t-il. Famara Sarr, chef du bureau lait au ministère de l’agriculture, se veut quant à lui plus prudent : « Avant de remettre en question des engagements internationaux, il faut structurer la filière », dit-il, proposant qu’« une part des taxes sur les importations soit réinvestie dans le secteur laitier ».

« Il faut aider les professionnels à stocker et acheminer le lait, transformer les surplus produits pendant la saison pluvieuse, métisser les bêtes locales peu productrices avec des races étrangères, assurer des services vétérinaires et, surtout, développer la production de fourrage », poursuit Famara Sarr. Mabouba Diagne, lui, assume la possibilité d’une rupture : « Nous allons vivre des moments de transition et le lait va manquer. Mais on va s’en sortir », a déclaré le ministre au Soleil.

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Les acteurs du secteur laitier ont déjà remporté quelques batailles politiques ces dernières années. En 2019, afin d’exonérer les producteurs de la TVA sur le lait pasteurisé, le gouvernement a fait passer le lait à peine transformé dans la catégorie des produits agricoles non traités. Une bataille menée entre autres par Bagoré Bathily, fondateur et patron de la Laiterie du Berger. Ce dernier, qui a écoulé en 2024 plus de 3 millions de litres produits localement, a acquis une certaine renommée, signe que le sujet intéresse au-delà des seuls professionnels.

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« Le Sénégal a un savoir-faire, une histoire d’élevage, du nord du pays jusqu’à la Casamance. Il peut réussir le pari de la souveraineté laitière », veut croire Famara Sarr.

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