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Des simulations d’actes sexuels sur l’autel d’une église, le sacrifice de chèvres et de poulets en plein office, le sang d’animaux jeté sur les fidèles, des viols de femmes et de jeunes filles… Voilà quelques-uns des faits sordides reprochés à Daniel Mururu, un pasteur de l’East African Pentecostal Churches of Kenya, dans le village de Kianjai, dans la région de Meru (Centre). Le prétendu religieux, arrêté par la police, a été placé en détention provisoire le 4 septembre. L’Eglise qu’il dirigeait comptait une centaine de membres dont une majorité de femmes et d’enfants.

Selon le rapport de la police cité par la presse kényane, « l’enquête a établi que le pasteur et les anciens de l’Eglise dirigeaient une secte d’adeptes radicalisés ». Les abus pouvaient prendre des formes inattendues. Le faux officiant demandait ainsi aux fidèles de se déchausser à l’entrée de l’église et de laver leurs pieds avant de réutiliser l’eau pour le thé qu’il les forçait à boire. Et pour que les femmes gardent le silence, les hommes, proches du gourou, les menaçaient de toutes les calamités, comme le cancer ou l’infertilité. Les faits auraient débuté en 2018 pour prendre fin le 26 août 2024, lorsque des villageois excédés s’en sont pris à l’Eglise.

Cette nouvelle affaire est venue relancer le sujet de l’encadrement des Eglises au Kenya, pays de 55 millions d’habitants, chrétien à plus de 85 %. Il en compterait près de 40 000 en 2024, certaines responsables de graves abus. Notamment dans les branches pentecôtistes (20 % des croyants).

Manque d’un cadre légal clair

En avril 2023, plus de quatre cents cadavres avaient été découverts dans la forêt de Shakahola, à proximité de la côte. C’est là qu’un ancien chauffeur de taxi de 52 ans, pasteur autoproclamé, Paul Mackenzie, avait installé sa secte, l’Eglise internationale de la bonne nouvelle. Prédisant la fin du monde à ses adeptes, il leur avait demandé de jeûner jusqu’à la mort afin de « rencontrer Jésus ». Son procès, qui s’est ouvert en juillet, doit durer plusieurs mois.

Lire aussi | Au Kenya, début du procès du « massacre de la forêt de Shakahola », où 400 membres d’une secte sont morts de faim

Face à l’émotion suscitée par le massacre de Shakahola, William Ruto, le président de la République, avait ordonné, dans les semaines suivant la découverte macabre, la mise en place d’un groupe de travail. Cette commission de vingt et un membres, présidée par le révérend Mutava Musyimi, devait faire des propositions afin de mieux « gouverner les organisations religieuses au Kenya ». Le rapport a été remis avec cinq mois de retard, le 30 juillet. Dans ses conclusions, le groupe de travail note un manque de cadre légal clair pour les organisations religieuses, de clarté dans la définition des crimes liés à la pratique religieuse et la surveillance insuffisante des programmes télé et radio diffusant des croyances extrémistes.

Pour remédier aux dérives extrémistes, le rapport préconise par ailleurs la création d’une large structure chargée de chapeauter les organisations religieuses et la création d’une commission qui aurait le pouvoir de radier les organisations extrémistes. Le texte invite aussi à renforcer les cours d’éducation civique pour aborder la question des pratiques sectaires.

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« Ce que le groupe de travail propose est très bien mais je doute fort que l’on puisse réguler les Eglises au Kenya. Quelles qu’elles soient », juge Yvan Droz, anthropologue à l’Institut des hautes études internationales et du développement de Genève. « Les Eglises établies comme les catholiques ou les anglicans ne vont pas y voir de soucis, mais pour ce qui est des pentecôtistes, je ne sais pas. »

Mélange chimiquement pur entre politique et religion

D’autant que se pose la délicate question de la mise en pratique des contrôles. « Il y a tellement d’Eglises, de tailles si variables, parfois dans des zones très reculées, qu’il va être difficile pour les autorités de contrôler ce que chacune fait exactement », poursuit le chercheur. En 2014, sous la présidence d’Uhuru Kenyatta, l’Etat avait mis un temps un moratoire sur l’enregistrement de nouvelles organisations religieuses par les autorités. Trop de dossiers étaient en attente et les services de l’administration ne parvenaient pas à suivre.

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La question de la formation des pasteurs demeure elle aussi entière. Nairobi fourmille de centres de formation religieux aux noms variés – African Theological Seminary, Moffat Bible College, Pan Africa Christian University… – dont les sites Web proposent pêle-mêle des cours en théologie, en études de la Bible mais aussi en management et en commerce.

La surveillance de ce qui est enseigné aux futurs officiants religieux est d’autant plus ardue que certains pentecôtistes kényans partent se former dans la « Bible Belt » américaine, cette zone du sud-est des Etats-Unis très pieuse. « Quelle formation suivent-ils là-bas ? Quelle valeur ont-elles ? Impossible de le savoir », analyse Yvan Droz. A l’inverse, de toutes petites Eglises de seulement quelques individus existent. « Ceux-là ne sont que des prophètes autoproclamés qui lisent la Bible sans rien de plus, si ce n’est leur charisme. »

Lire le décryptage : Au Kenya, l’emprise grandissante des églises évangéliques sur la présidence

Dernière limite et non des moindres : le mélange chimiquement pur entre politique et religion. Certains ont reproché au président Ruto de ne pas vouloir réellement encadrer le monde des Eglises alors que lui-même a largement bénéficié des soutiens pentecôtistes durant la campagne présidentielle de 2022. L’influente évêque apostolique Margaret Wanjiru, à la tête de l’Eglise pentecôtiste Jesus is Alive Ministries, a par exemple appelé ses fidèles à voter pour M. Ruto durant la campagne avant de se brouiller avec lui. La première dame du pays, Rachel Ruto, prêche régulièrement et la femme du vice-président, Dorcas Gachagua, est pasteur. William Ruto lui-même a déclaré à plusieurs reprises vouloir devenir pasteur une fois qu’il aura quitté la présidence.

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