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Des chauffeurs kényans pour conduire des bus en Allemagne. Le 12 septembre, Stella Mokaya, l’ambassadrice du Kenya à Berlin, a annoncé que 3 000 conducteurs seraient prochainement envoyés dans la République fédérale pour y travailler, alors que ce pays à la population vieillissante manque structurellement de bras pour occuper certains postes. Ils seront employés par Aktiv Bus Flensburg, la société chargée de l’exploitation du réseau de transport de Flensbourg, une ville de 100 000 habitants à la frontière avec le Danemark.

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Les deux pays prévoient d’autres accords dans les secteurs de l’énergie, du commerce, de l’éducation et des transports. L’annonce de l’arrivée prochaine des 3 000 chauffeurs de bus a précédé la visite, les 13 et 14 septembre, du président kényan, William Ruto, en Allemagne. Lors de son déplacement, le chef de l’Etat a annoncé que 250 000 emplois étaient sécurisés pour les jeunes diplômés de son pays, avant d’être contredit par le ministre allemand de l’intérieur, ce dernier rappelant qu’un accord avait été signé, mais sans quota précis.

Reste que ce partenariat illustre une tendance de fond : le Kenya incite ses jeunes, qualifiés ou non, à quitter le pays pour chercher des opportunités d’emplois ailleurs. William Ruto a avancé le chiffre de 5 000 Kényans partant à l’étranger chaque semaine. « C’est le premier président à faire de l’exportation des travailleurs une politique publique assumée. La mesure est en haut de son agenda politique. C’est inédit », juge l’analyste politique Njahira Gitahi.

Un chômage endémique

Outre l’Allemagne, Nairobi a passé des accords avec plusieurs Etats de la péninsule Arabique et le Canada. En mai 2023, un accord portant sur des emplois dans la santé a été signé avec le géant nord-américain, le président kényan assurant y envoyer des médecins, des infirmières et des physiothérapeutes alors que la population canadienne vieillit. « La main-d’œuvre du Kenya est notre plus grande ressource. Elle est bien formée et travailleuse. Même si nous investissons dans des secteurs qui créeront des emplois dans le pays, les opportunités offertes aux Kényans à l’étranger constituent un autre moyen d’élever nos jeunes », avait alors déclaré William Ruto.

Pourquoi multiplier de tels accords ? « C’est un moyen d’éloigner la jeunesse, notamment celle qui a manifesté en juin et juillet contre la loi de finance. William Ruto les met dehors avant qu’ils ne le sanctionnent dans les urnes en 2027 », estime Njahira Gitahi. Le journaliste politique Dauti Kahura partage cette analyse : « Après deux années au pouvoir, William Ruto est extrêmement impopulaire, notamment au sein de la “Gen Z” [la génération Z, née entre la fin des années 1990 et le début des années 2010]. Promettre à la jeunesse des emplois à l’étranger est une réponse aux récentes manifestations. »

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Surtout, selon lui, expatrier la jeunesse kényane est « un bon moyen pour le chef de l’Etat d’éloigner le groupe le plus susceptible d’empêcher sa réélection en 2027 ». Dauti Kahura rappelle que « les 18-25 ans représentent 65 % du corps électoral » et que « si les Kényans de la diaspora ont le droit de participer aux élections, dans les faits, le dispositif pour y parvenir rend la chose compliquée ».

Autre raison : le chômage endémique. Quelque 35 % des jeunes Kényans n’ont pas d’emploi. Beaucoup sortent de l’université sans trouver de poste et nombre d’entre eux occupent, faute de mieux, des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés. « La question du chômage massif est ancienne et ne date pas de la présidence Ruto. Le président doit toutefois donner l’impression qu’il essaie de trouver une solution à ce problème. Dire qu’il négocie des opportunités d’emplois à l’étranger est sa réponse », estime Dauti Kahura.

L’argent de la diaspora

Durant la campagne électorale de 2022, William Ruto n’avait cessé de se présenter en candidat des « petites gens » face aux élites. « Il a développé un récit tourné totalement vers les jeunes sans emploi, notamment les “hustlers” [travailleurs de l’économie informelle], mais sans jamais dire qu’il comptait envoyer les gens à l’étranger. Cet argument est apparu quand il est arrivé au pouvoir », décrypte Njahira Gitahi.

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Une autre explication est à chercher du côté des transferts de devises. Selon la Banque centrale du Kenya, la diaspora a envoyé, en 2023, 671 milliards de shillings kényans (environ 3,8 milliards d’euros à l’époque) au pays. Les Kényans installés aux Etats-Unis y ont contribué pour plus de la moitié, suivis par ceux vivant au Canada, au Royaume-Uni, en Allemagne et en Arabie saoudite. « Il est certain que c’est une façon de faire entrer de l’argent au Kenya », juge Dauti Kahura. D’autant que le pays, très endetté, lutte pour rembourser ses dettes auprès des bailleurs de fonds internationaux.

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Njahira Gitahi est dubitative sur les effets à long terme de cette politique : « A l’école, on a enseigné aux Kényans que la fuite des cerveaux était un danger pour le pays, que cela le privait de ses docteurs et de ses ingénieurs. Je vois difficilement comment construire une nation si nous la privons de ses forces vives. »

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