Par son ingérence de plus en plus agressive dans la destinée du Groenland, le camp Trump fait voler en éclats le consensus fragile entre Nord-Américains, Européens et peuples du Grand Nord autour de l’idée d’une décolonisation progressive, pacifique et respectueuse des intérêts de tous. Cet exceptionnalisme arctique, patiemment construit depuis la fin des années 1980, est pulvérisé au profit d’un discours suprémaciste tressé de contrevérités.
Prenez par exemple les propos du vice-président américain, J. D. Vance, sur Fox News, le 2 février : « Il y a des routes maritimes que les Chinois et les Russes utilisent et, très franchement, le Danemark, qui contrôle le Groenland, ne fait pas bien son travail. Ce n’est pas un bon allié. (…) Les Groenlandais ont de vastes ressources naturelles. Ils ont un pays incroyablement abondant que les Danois ne les laissent pas développer et explorer. » J. D. Vance ignore-t-il que les routes maritimes arctiques sont utilisées par moins de dix cargos chinois par an et que ceux-ci ne passent jamais à proximité des eaux groenlandaises ? Que le Danemark n’a plus compétence sur l’exploitation des ressources naturelles – elle relève exclusivement du Naalakkersuisut, le gouvernement autonome du Groenland ? Que le Danemark a été fidèle à toutes les campagnes militaires américaines depuis vingt-cinq ans et qu’il a été systématiquement arrangeant concernant les bases au Groenland ?
On en revient à une géopolitique de l’Arctique fondée sur un transactionnalisme opportuniste, où tout passerait par des rapports de force, quitte à bafouer le principe même de liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes. Et ce, alors que c’est le futur Naalakkersuisut issu des élections groenlandaises du 11 mars qui assumera, en mai, la présidence tournante du Conseil de l’Arctique – l’organe diplomatique régional – pour une durée de deux ans, au nom de la délégation danoise.
Avec cette diplomatie du coup de force et du dénigrement, porté en grammaire des relations entre alliés, le camp Trump achève de rompre la confiance déjà mise à mal – et de façon stérile – lors des réunions ministérielles du Conseil en 2017 et 2019. L’escalade verbale a toutes les chances de diviser le jeu arctique en trois blocs, renvoyant Moscou et Washington dos-à-dos, au bénéfice premier de la Chine.
Il vous reste 63.44% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.