« Si Kamala Harris gagne, la situation sera mauvaise. Si c’est Donald Trump, ce sera encore pire », jugeait Daryl Landy, inquiet à la veille de la présidentielle américaine, qui se tient mardi 5 novembre. Cet ancien enseignant de New York est venu s’installer à Accra, la capitale du Ghana, en 2019, pour fuir, dit-il, un racisme de plus en plus décomplexé au sein de la société américaine.
Cinq ans plus tard, il est persuadé que la situation s’est aggravée. « Les personnes qui scandent aujourd’hui “Make America great again” [“Rendons sa grandeur à l’Amérique”, le slogan des partisans de Donald Trump], veulent revenir à une époque où seul un groupe de personnes contrôlait le pays », estime-t-il.
Assise à ses côtés, son amie Wanida Lewis acquiesce, l’air grave. Avant de lancer son activité de promotion de la cuisine panafricaine dans la banlieue d’Accra, cette femme originaire du Maryland, sur la côte est des Etats-Unis, travaillait pour le gouvernement américain, notamment sous l’administration Trump. « Qu’importe le résultat de l’élection, les gens vont devenir fous. Nous vivons une époque très étrange, où certaines personnes ne veulent pas voir leur histoire changer et sont prêtes à se battre », affirme-t-elle. Une situation qui terrifie Daryl Landy : « J’ai peur pour ma famille qui est toujours là-bas. J’espère vraiment qu’ils auront rapidement leurs passeports pour quitter le pays. »
Une « année du retour » au Ghana
Comme Daryl et Wanida, de nombreux Afro-Américains ont entamé ces dernières années une « repatriation », terme donné à ce mouvement de migration, des Etats-Unis vers les terres de leurs ancêtres, déportés depuis l’Afrique de l’Ouest lors de la traite négrière, entre le XVIe et XVIIIe siècle. Pour encourager leur venue, le gouvernement ghanéen avait décrété 2019 « année du retour » et a mis en place un programme incitant leur installation. Aujourd’hui, cette diaspora compterait entre 10 000 et 15 000 membres, selon une estimation réalisée par l’Association des Afro-Américains du Ghana.
Lors des événements organisés par l’association en amont de l’élection présidentielle du 5 novembre, son président, Diallo Sumbry, reconnaît avoir perçu parmi ses membres « une excitation certaine quant à la possibilité d’avoir une première femme afro-américaine présidente ». D’autant que Kamala Harris est bien connue au Ghana. La candidate démocrate s’y est rendue en mars 2023 lors d’une tournée africaine, visitant notamment le fort de Cape Coast, ancienne plaque tournante de la traite négrière. Elle y avait salué « la lutte pour les droits civiques et la justice, aux Etats-Unis et dans le monde », des descendants des esclaves.
« Pour autant, quand il s’agit de politique, la diaspora afro-américaine au Ghana est loin d’être monolithique, nuance Diallo Sumbry. Certains détestent le système bipartisan, d’autres estiment que l’institution présidentielle est en elle-même raciste et baigne dans le suprémacisme blanc, d’autres encore croient toujours au rêve américain… »
« Le futur se trouve ici, au Ghana »
Certains, comme Gary Emerson Fray, ont également décidé de totalement se désintéresser du scrutin et de ses enjeux. A 62 ans, ce New-Yorkais est venu s’installer au Ghana il y a deux ans pour créer une ONG venant en aide aux enfants des rues et, ce 5 novembre, il a décidé de ne pas voter. L’élection qui compte pour lui, c’est celle du prochain président du Ghana, le 7 décembre. « Ce à quoi je fais face quotidiennement, ce sont les effets de l’échec des politiques ghanéennes, explique-t-il. Mon intérêt pour ce qui se passe en ce moment aux Etats-Unis est devenu très marginal. Ce qui m’importe vraiment, c’est le futur. Et il se trouve ici, au Ghana. »
A l’approche de la présidentielle américaine, la perspective d’aller tenter sa chance au Ghana semble séduire un nombre croissant de citoyens afro-américains. Depuis plusieurs mois, Diallo Sumbry, qui est également le PDG d’Adinkra Group, une entreprise qui aide à la « repatriation », reçoit « beaucoup d’appels de personnes disant qu’elles se préparent à partir en fonction du résultat de l’élection, d’autres m’assurent qu’ils partiront des Etats-Unis, qu’importe le vainqueur. » La dernière fois qu’il avait observé tant de demandes, c’était entre 2016 et 2020, sous la présidence de Donald Trump.