A Rennes, en novembre, les amateurs de spectacle vivant, d’ici ou d’ailleurs, ont leur rendez-vous : le Festival TNB du Théâtre national de Bretagne qui, de son vaisseau amiral à la façade de verre ouverte sur la ville, se déploie sur toute l’agglomération rennaise tout en gardant ses antennes pointées sur le monde. L’édition 2024, sous la conduite d’Arthur Nauzyciel, le directeur du TNB, n’affiche pas de thématique particulière. Mais on peut lire dans ce festival qui s’est ouvert le mercredi 13 novembre et se poursuit jusqu’au samedi 23, une attention particulière aux souffrances, aux fragilités qui montent dans nos sociétés, notamment à la question du handicap et de la « création adaptée ».
Les deux soirées d’ouverture des 13 et 14 novembre ont d’ores et déjà offert des bonheurs divers. Outre le Léviathan, de Lorraine de Sagazan, et le Hamlet créé par Chela De Ferrari avec des acteurs atteints de trisomie 21, déjà chroniqués dans nos colonnes, on a pu y découvrir deux belles créations semblant aux antipodes l’une de l’autre, mais réunies par une même confiance dans les pouvoirs poétiques du théâtre : Sur le chemin des glaces, par Bruno Geslin, et Comment se débarrasser de son crépi intérieur, par Valérie Mréjen.
La première se met dans les pas du cinéaste allemand Werner Herzog, alors que vient d’être publiée en France sa passionnante autobiographie, Chacun pour soi et Dieu contre tous (Séguier, 400 pages, 24, 90 euros). En 1974, Herzog a 32 ans, il a déjà réalisé Aguirre, la colère de Dieu (1972). Il apprend que son amie Lotte Eisner, grande critique et historienne du cinéma, est gravement malade, et qu’elle risque de mourir. Il décide alors d’entreprendre à pied le voyage de Munich à Paris, avec l’idée que cette course de 900 kilomètres contre la mort la sauvera.
Une poésie folle
De ce voyage initiatique, halluciné, il rend compte quelques années plus tard, en 1978, dans Sur le chemin des glaces, qui est bien plus qu’un carnet de route, plutôt le récit d’un voyage intérieur hanté par les fantômes et la folie. Herzog se met en marche, avec ses bottes, un sac et une boussole. Il dort sous des Abribus, dans des granges, dans des maisons de campagne où il entre par effraction. Il traverse des paysages déserts, dans un état proche de la transe, sous la pluie, la grêle, la neige, par le brouillard, le vent glacial. Le voyage d’hiver est une manière de mettre le corps à l’épreuve, de défier la mort. Lotte Eisner survivra, et vivra encore pendant dix ans.
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