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Histoires Web dimanche, juin 30
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Fermons les yeux, et écoutons le son des premiers instants de Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles (1975), chef-d’œuvre de la cinéaste belge Chantal Akerman (1950-2015). Faisons comme si l’on ne connaissait pas l’histoire de cette héroïne, incarnée par Delphine Seyrig, élevant seule son fils depuis la mort de son mari, et se prostituant entre deux tâches ménagères. D’emblée, on perçoit un ronronnement de gazinière, un claquement de talons féminins sur le carrelage, le bruit percussif d’un couvercle que l’on poserait sur une cocotte, et soudain l’appel strident de la sonnette d’entrée. Une porte s’ouvre, suivent deux « bonjour », la femme d’abord, l’homme ensuite, puis le frottement d’une étoffe, quelques pas encore qui semblent s’éloigner, le grincement d’une porte, et enfin quelques secondes de silence.

Lire la rencontre : Article réservé à nos abonnés Emmanuel Coutris, non-voyant, raconte comment, au cinéma, il a parfois « l’impression de faire partie de la scène »

Jeanne Dielman… sera projeté les 29 juin, ainsi que les 2 et 4 juillet, au festival La Rochelle Cinéma (du 28 juin au 7 juillet), en version audiodécrite à destination des personnes mal ou non voyantes, dans le cadre d’une rétrospective consacrée à Chantal Akerman – les spectateurs pourront écouter le texte de l’audiodescription avec un casque.

Beaucoup de choses ont été dites sur ce film radical, chorégraphiant les gestes millimétrés de cette femme, sa routine, laquelle va se distordre lors d’un rendez-vous avec un client. Mais rarement le son aura été autant décortiqué, à l’occasion de la version audiodécrite réalisée par Marie Diagne, ancienne monteuse.

Les « yeux du dedans »

Nous avons assisté à deux phases de ce travail d’orfèvre, au mois de février, puis en avril, en présence d’un cinéphile aveugle, Emmanuel Coutris, qui faisait part de son ressenti en écoutant le premier jet d’écriture. « Chantal Akerman croyait fortement dans l’expérience du corps du spectateur dans la salle de cinéma. Je me retrouve totalement dans cette idée », commente Marie Diagne.

Lire la nécrologie : La cinéaste Chantal Akerman est morte

Pour cette cinéphile qui anime des ateliers avec tous types de publics, une personne déficiente visuellement est avant tout un spectateur de cinéma, explorant le film avec ses « yeux du dedans » : « Quand on est dans une salle, on sent un espace très physique entre la bande des sons et celle des images. Si un spectateur n’a pas accès à l’image [parce qu’il est aveugle], il lui manque quelque chose pour qu’il puisse prendre complètement sa place dans la salle. C’est à cet endroit que les mots de l’audiodescription interviennent », dit-elle. Et d’ajouter : « La question centrale, c’est : qu’y a-t-il dans l’image, que la bande des sons à elle seule ne permet pas de percevoir, et qu’il est indispensable de percevoir pour saisir le projet de cinéma de l’auteur ? »

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