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Lors de la conférence « Un média national à l’écoute des territoires », à Couthures-sur-Garonne (Lot-et-Garonne), le 12 juillet 2025.

A la fin d’une conférence, un festivalier se lève : « Je suis venu à une table ronde : “la ruralité sous le regard des médias”, et depuis une heure on ne parle que de l’agriculture. Est-ce que ça ne révèle pas un biais cognitif des médias nationaux ? »

Comment représenter la campagne dans les médias ? C’est l’épineux et complexe sujet de l’une des thématiques du neuvième Festival international de journalisme, qui se tient du 11 au 13 juillet à Couthures-sur-Garonne (Lot-et-Garonne). Interrogés dans les allées, les festivaliers sont nombreux à porter un regard dur sur le traitement de leurs territoires par « les journalistes parisiens » : « On a l’impression qu’ils parlent soit des grèves d’agriculteurs, soit des médecins qui ne veulent pas venir chez nous », déplore Eric, 63 ans, retraité venu du Lot.

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Le cycle de neuf conférences, qui a notamment évoqué, vendredi, la question des déserts médicaux ou du logement en zone rurale, s’est concentré samedi sur ce que les médias montrent de la « ruralité » – un terme d’ailleurs remis en question par plusieurs participants, qui préfèrent parler de « la campagne, tout simplement ». Les interventions parfois virulentes du public ont montré une défiance de principe vis-à-vis des médias nationaux sur le sujet, malgré des progrès.

Dorothée Barba lors de la conférence « Un média national à l’écoute des territoires », au Festival international de journalisme, à Couthures-sur-Garonne (Lot-et-Garonne), le 12 juillet 2025.

Devant l’obsession de certaines chaînes d’information pour les « grèves d’agriculteurs » (regroupant d’ailleurs sous ce terme des professions bien différentes, des grands céréaliers aux petits éleveurs), certains programmes assument une ligne plus positive : c’est le cas de l’émission quotidienne « Carnets de campagne », sur France Inter, créée en 2006, qui met en avant des initiatives locales. Sa présentatrice, Dorothée Barba, a pu rencontrer à Couthures de nombreux « fans ». Sur France 3 Nouvelle-Aquitaine, le magazine consacré à l’agriculture « NoA sur Terre » a vu le jour. « C’est un temps pour écouter les agriculteurs nous parler de leur quotidien. On ne gomme pas leurs difficultés, mais on raconte leur vie de manière plus humaine », explique Hélène Abalo, coordinatrice éditoriale de ce programme.

« Complexe d’infériorité »

Le public du festival provient pour plus de la moitié de la région Nouvelle-Aquitaine, mais pas forcément des zones les plus rurales. « Je croyais que c’était très parisien comme festival, comme les gens autour de moi, témoigne Catherine, qui vit à six kilomètres de Couthures. Or ce n’est pas forcément le cas, même si je n’ose pas poser des questions car j’ai peur qu’elles ne soient pas assez intéressantes. »

La presse régionale reste la mieux placée pour parler de son territoire. Et malgré cela, Jérôme Jamet, responsable du bureau de Sud Ouest à Marmande, reconnaît une forme de « complexe d’infériorité » quand un journaliste national descend dans le coin. « Quand il y a un événement d’envergure, on partage notre territoire avec eux. Mais on n’est pas des mercenaires qui viennent et repartent, nous, on reste. »

Au Festival international de journalisme, à Couthures-sur-Garonne (Lot-et-Garonne), le 12 juillet 2025.

Selon lui, la mission du bureau de Marmande, qui compte trois journalistes et une vingtaine de correspondants locaux de presse – des journalistes non professionnels, qui couvrent souvent l’actualité d’une commune –, est de « passer l’information », quelle qu’elle soit : « Le sel du métier de journaliste localier, c’est que tout peut arriver. Il y a des infos ras du bitume, comme l’installation de bandes adhésives à Marmande pour éviter que les voitures dérapent, et certains sujets qui ont une résonance nationale. » Par exemple, la récente polémique sur la vente aux enchères d’une ferme, que le petit-fils du propriétaire a voulu récupérer, mais qui a dû faire face à la concurrence d’un autre acheteur – il s’est retiré sous la pression médiatique.

Sur des sujets de fond, Jérôme Jamet reconnaît que même entre les journalistes de Sud Ouest, le positionnement politique n’est pas le même : « Sur la ligne à grande vitesse sud-ouest, les journalistes des grandes villes comme Bordeaux peuvent être plutôt pour car ils vont s’en servir, alors que mon cœur penche plutôt du côté des gens de chez nous, qui vont regarder la ligne passer, et en plus payer un impôt. »

Le rôle des médias locaux

Le fonctionnement de la presse quotidienne régionale n’est pas sans limites : « On a des concurrents donc il faut publier vite. On manque de temps pour enquêter car on doit être dans l’immédiateté », reconnaît Carine Caussieu, également journaliste à Sud Ouest.

Les correspondants sont aussi souvent exposés aux critiques et aux menaces. « La proximité qu’on a avec les élus et les personnes qui font bouger le territoire est passionnante, on rencontre des tas de gens, explique Laurent Cluchier, correspondant depuis 2001 à Boé, près d’Agen. Je suis très fier de relayer ces informations, mais il faut tout de même faire attention, et expliquer notamment aux élus qu’on n’est pas un outil de communication. On est à portée de baffes, parfois le bras est très court, mais c’est aussi car les lecteurs ont une relation de confiance, on nous lit tous les jours. »

Baptiste Giraud, Clémence Postis et Gaël Cérez lors de la conférence « L’engagement journalistique au niveau local », au Festival international de journalisme, à Couthures-sur-Garonne (Lot-et-Garonne), le 12 juillet 2025.

Une autre table ronde était consacrée à l’engagement journalistique au niveau local, et à l’émergence de médias qui prennent davantage le temps d’enquêter sur des sujets structurants. « Souvent on s’imagine que seule la presse nationale peut parler d’enjeux de société », déplore Clémence Postis, rédactrice en chef de la revue Far Ouest, qui réalise des feuilletons multimédias sur le Sud-Ouest depuis 2017.

« On voit ce que la PQR ne fait pas, c’est-à-dire de l’enquête locale, et la presse nationale n’a pas beaucoup d’intérêt pour l’info locale, avance Gael Cérez, rédacteur en chef de Mediacités à Toulouse, un média en ligne d’investigation. Il y a plein de pouvoirs locaux, et l’idée est de remettre en question leurs pratiques. D’ailleurs, la PQR fait plus d’enquêtes depuis qu’on est là ! »

Lors de la conférence « L’engagement journalistique au niveau local », à Couthures-sur-Garonne (Lot-et-Garonne), le 12 juillet 2025.

Les médias locaux sont aussi les garants de l’identité de leur territoire, reconnaissent les participants aux débats. « Nos lecteurs méritent autant que les autres une information de qualité, j’ai envie de défendre le territoire où je suis, défendre par exemple que le festival Garorock reste à Marmande et ne déménage pas à Bordeaux », témoigne Jérôme Jamet. Par leur travail, ils mettent en évidence la richesse de l’activité d’un territoire, pour éviter par exemple que les médias nationaux ne réduisent le Gers à l’élevage de canards. « Quand on n’a plus conscience de sa propre valeur, on se recentre sur ce que les autres connaissent de nous, avertit Yannick Jaulin, conteur et comédien. Il faut à tout prix éviter ce déracinement de soi. »

Lire le reportage | Les menaces sur la liberté de la presse, au cœur de la première journée du Festival international de journalisme

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