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Histoires Web dimanche, octobre 6
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Arrivée en majesté de Jacqueline, 91 ans, poussée dans son fauteuil roulant. « Ça commence bien », murmure un spectateur aux cheveux gris. Oui. « Ça » commence et « ça » finit bien. Même si, sur l’écran vidéo suspendu au-dessus du parquet de bal, on peut lire : « Compte tenu de leur âge, les personnes sur scène sont susceptibles, comme Dalida, de mourir sur scène », un avertissement à prendre pour ce qu’il est, une malice ironique et une mise à distance salutaire du pathos. Même si Georges, qui aurait dû être là, à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, fait lui aussi une entrée remarquée. Mais dans une urne funéraire. Même si Annie, 82 ans, Sally, 75 ans, Martine, 76 ans, Jean-Pierre, 85 ans, Micheline, 77 ans, et Chille (qui ne dit pas son âge) sont à l’automne d’existences qui se déclinent en problèmes cardiaques, douleurs articulaires, marches précautionneuses derrière un déambulateur.

La Vie secrète des vieux, création de Mohamed El Khatib, auteur et metteur en scène qui a le chic pour lever des « draps de poésie » (l’expression est de Jacqueline) sur l’apparente banalité du réel, est une invitation au grand âge et une convocation à un splendide feu d’artifice. C’est une constante du Festival d’Avignon 2024 : les vieux sont les héros des scènes contemporaines. Ceux qu’a propulsés dans la Cour d’honneur du Palais des papes Angelica Liddell (Dämon, El funeral de Bergman) ne disaient pas un mot, mais leurs corps faisaient bloc, et l’artiste mettait sa rage et sa lucidité à s’insurger, en leur nom, contre le crépuscule physique et mental qui guette chacun de nous.

Tonalité légère

Avec Mohamed El Khatib, rien de tel. Le metteur en scène a beau être présent sur le plateau, il l’habite en Monsieur Loyal, distribue la parole, présente les protagonistes, les place dans l’espace. Un rôle de liant dans une dramaturgie qui privilégie les suspenses, aime les béances et cultive les fragilités, mais se révèle moins décousue qu’il n’y paraît. De quoi est-il question ? De sexe, de désir, de fantasmes, de masturbation, de baisers sur la bouche, d’homosexualité tardivement assumée, bref, d’une libido qui ne s’émousse pas malgré la chair flétrie et le parchemin des rides. Ces amateurs sont devenus des acteurs de théâtre, ils ont quitté leur Ehpad pour clamer face au public leur envie de faire l’amour : il faut du cran. C’est ce que l’on pense, et cette réflexion en dit long sur nos propres entraves. Eux, en face, malgré leurs cheveux rares, leurs muscles en déroute ou leurs gestes ralentis, n’ont rien à faire de nos inhibitions.

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