Une nation peut-elle se suicider par la corruption ? La question semble mal posée, puisqu’un individu corrompu tient à la vie – il veut profiter de ce qu’il amasse, de son pouvoir, de ses relations. En aucun cas il ne cherche à disparaître, à se tuer. Et, pourtant, une communauté humaine, gangrenée par la corruption jusqu’à ses derniers replis, s’achemine vers le suicide.
A l’origine de la popularité des formations d’extrême droite en Roumanie, on trouve une corruption marécageuse, étalée sur trois décennies. Une corruption dont la composition chimique inclut (entre autres) la promotion du culot, de l’incompétence et l’instrumentalisation éhontée de la foi. Les partis traditionnels (pro-européens, par ailleurs) se sont complus dans cette déréliction tentaculaire à travers des alliances contre-nature et des complicités ayant pour seul dénominateur « idéologique » le profit et le maintien au pouvoir à tout prix. Le suicide collectif par la corruption ne signifie pas une extinction physique, mais un éloignement progressif des termes qui définissent la civilisation.
Après la première guerre mondiale, la Roumanie disposait d’énormes atouts pour accomplir un saut civilisationnel. Mais elle ne l’a pas fait et s’est enlisée dans l’extrémisme politique, dans la toxicité d’une idéologie nationaliste doublée d’un christianisme orthodoxe fondamentaliste, et dans un antisémitisme d’abord larvaire puis virulent. La corruption existait aussi, mais elle n’a pas été l’élément décisif de l’obscurantisme roumain.
La période communiste a suscité un nouveau type de corruption, dans un contexte historique de vassalisation à l’égard de l’Union soviétique et de soumission à une doctrine unique, officielle et obligatoire, mâtinée de culte de la personnalité. Mais, pour cette période, les Roumains peuvent invoquer des circonstances atténuantes quant à l’érosion de leur boussole morale et de leur courage civique.
Grands profiteurs et grands dévots
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