Dans le sillage des mangeurs d’os, des vers de glace, du calmar bijou, du pangolin marin, du concombre fabuleux et de tout le peuple furtif des tréfonds de l’océan, le lecteur pourrait se croire immergé dans un univers poétique et baroque. En réalité, c’est à une balade scientifique qu’il est convié. Enrichi des magnifiques illustrations de Julie Terrazzoni, l’Atlas des abysses, de Jozée Sarrazin et Stéphanie Brabant (Arthaud, 136 pages, 25 euros), ne prête pas seulement à la rêverie : il ouvre une porte sur un monde inconnu, rarement imaginé, peuplé de monstres gracieux et lents, aux formes fantastiques, colorés, luminescents pour certains, et aux mœurs étranges.
Les humains, savants ou non, ont longtemps cru que cette obscurité privée d’oxygène, où la pression est écrasante, était vide, froide, impénétrable. A partir de 1 000 mètres sous la surface, les grands fonds marins ont beau occuper la grande majorité du plancher de l’océan mondial – plus de 320 millions de kilomètres carrés, tout de même –, une infime part de ses plaines abyssales et de ses montagnes, qui culminent à 5 000 mètres, est répertoriée.
Scientifique basée à Brest (Finistère), québécoise d’origine, Jozée Sarrazin participe aux expéditions menées par la France pour explorer ces profondeurs inconnues. Elle dit n’avoir jamais cessé de s’émerveiller. Son enthousiasme est perceptible dans cet ouvrage rédigé avec la journaliste Stéphanie Brabant.
Modèle de collaboration mutuelle
Non seulement Jozée Sarrazin est une habituée des plongées dans les abysses à bord de sous-marins exigus, mais ses recherches portent sur les plus étonnants des sites sous-marins : les sources hydrothermales. Ces geysers, d’où jaillit une eau à 350 °C, qui crachent des entrailles de la Terre des fluides et des fumées noires, riches en métaux et en gaz, abritent une faune luxuriante dopée à la chimiosynthèse. Des palourdes, des moules, des poissons anguilliformes, des anémones, des crabes font leur affaire de cet environnement a priori toxique.
Sans bouche ni système digestif, le Riftia pachyptila, par exemple, un ver géant des profondeurs, à l’étonnante couleur vermillon, peut atteindre 2 mètres. Les micro-organismes qui occupent une grande partie de son corps le nourrissent, tandis qu’il leur fournit abri et énergie. Ainsi va la vie marine, modèle permanent de collaboration mutuelle.
Quant au « charmant » poulpe à oreille qui « nage avec une douceur aérienne », le voilà baptisé « Dumbo des profondeurs ». Championne du camouflage, cette créature fantomatique « retrousse son manteau blanc et révèle une sorte de voile pourpre, qu’[elle] déploie comme un parapluie » au moment de disparaître. Mais sa vie demeure globalement une énigme.
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