Avec Jakob Ingebrigtsen, le spectacle se tient sur la piste plutôt qu’en dehors. Homme de peu de mots, déterminé et froid comme l’acier, le coureur norvégien l’avait annoncé la veille en conférence de presse, sa participation au meeting en salle de Liévin « n’aurait eu aucun sens » s’il ne s’était pas attaqué aux records du monde du mile, soit la distance « très britannique » de 1 609,344 mètres, et à celui du 1 500 m par la même occasion.
Jeudi 13 février, le double champion olympique du 1 500 m – en 2021 – et du 5 000 m – en 2024 – a tenu parole en battant deux records du monde en une course, l’un qui lui appartenait déjà, celui du 1 500 m, et l’autre, celui du mile. « Je suis un grand fan des distances olympiques [le 1 500 m], le principal objectif était de descendre en dessous de 3 minutes 30 et essayer de ne pas trop ralentir sur les derniers 100 mètres, a-t-il déclaré. Je suis très heureux. »
Dans les Hauts-de-France, il a effacé le temps de l’Américain Yared Nuguse, réalisé cinq jours plus tôt à New York (3 min 45 s 14 contre 3 min 46 s 63). Il est donc devenu le premier homme à passer sous les 3 min 30 sur 1 500 m indoor (3 min 29 s 63 contre 3 min 30 s 60, en 2022 dans cette même salle). « Je voulais améliorer mon temps d’il y a trois ans. Je suis chanceux d’avoir battu les deux [records] dans la même course », a-t-il ajouté.
L’icône de la course à pied
Les organisateurs du meeting Hauts-de-France Pas-de-Calais avaient tout misé sur le jeune homme, aux nombreux tatouages, aux quatre petits anneaux aux oreilles et à la coupe de cheveux bien en place. Quelques secondes avant le départ, une banderole noire géante, siglée « Jakob », est brandie en tribune. Trois « lièvres » – ces coureurs chargés d’assurer l’allure du record – ont été embauchés pour l’occasion. Connu pour sa ferveur et sa connaissance de l’athlétisme, le public local n’a pas failli à sa réputation, encourageant sans relâche l’icône de la course à pied.
L’implacable Norvégien n’a déçu personne et s’est offert un tour d’honneur, drapeau de son pays sur le dos et chèque géant dans la main. Il reçoit en récompense de ses records, deux fois la somme de 25 000 euros. Le Scandinave de 24 ans compte désormais quatre records du monde dans son escarcelle, puisqu’il est également détenteur des records du monde en plein air, du 2 000 m et du 3 000 m.
Depuis la création de ce meeting en 1988, treize records du monde y ont déjà été réalisés. Une cadence qui s’accélère même depuis 2020 avec au moins un exploit par an, toujours sur les épreuves de demi-fond. En 2021, Gudaf Tsegay s’était arrogée celui du 1 500 m. Cette année, l’Ethiopienne de 28 ans a échoué loin, à presque dix secondes, du record du monde du 3 000 m indoor. La favorite de la course, dont les organisateurs attendaient un nouveau record, a été largement battue par sa compatriote Freweyni Hailu. Grand prince, Ingebrigtsen l’a suppléé en faisant coup double. Fair-play, Tsegay l’a chaudement félicité dans les travées du stade couvert.
A Liévin, le Norvégien est quasiment à domicile, même s’il tient à rappeler qu’il a déjà son chez-lui, à Sandnes, une ville du sud-ouest de la Norvège dont il est originaire. « Ma maison, c’est ma maison, a-t-il répondu. Mais oui, je prends toujours du bon temps à Liévin. La foule est enthousiaste et on profite de cette atmosphère. »
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Au Monde, la veille de la compétition, la star mondiale de la course à pied s’était montrée énigmatique pour sa course de reprise, six mois après Paris 2024 où il n’a rempli que la moitié de sa mission, sacré sur 5 000 m mais seulement quatrième du 1 500 m : « Nous allons voir à quelle vitesse nous pourrons courir demain. » La réponse a été digne de son talent.
Quelques années auparavant, le champion avait déclaré vouloir battre au cours de sa carrière tous les records du 1 500 m au marathon. Interrogé sur cette quête, Ingebrigtsen paraît moins obsessionnel. « Je crois que je peux battre beaucoup de records du monde mais ce n’est pas l’objectif, a-t-il expliqué. Mon objectif est de voir à quel point je peux être bon et jusqu’où je peux courir vite. Cela n’a rien à voir avec les records. »
« Progresser, progresser et progresser »
Cette machine à records défend une mentalité différente, celle d’une lutte contre lui-même : « Ce n’est pas parce que je bats un record dans telle épreuve que ça y est, j’ai fini. Je pense que je peux toujours continuer à progresser. C’est toujours la même rengaine : progresser, progresser et progresser. »
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La suite de sa saison hivernale n’est pas encore fixée. Du 6 au 9 mars, aux Pays-Bas, l’athlète pourrait remporter ses septième et huitième titres européens. Le mystère plane toujours quant à sa participation aux Mondiaux en salle, prévus en Chine fin mars. Deux jours après une éventuelle finale du 1 500 m, il est attendu au procès de son père et ancien coach, Gjert Ingebrigtsen, accusé de violences physiques et psychologiques à son encontre lorsqu’il était plus jeune. Même lorsqu’on est un grand champion, le sport n’est pas toujours le plus important.