C’est le cœur du débat. Après trois jours d’âpres discussions, les députés ont défini, mardi 20 mai, l’ensemble des conditions requises pour qu’un malade puisse être éligible au droit à l’aide à mourir. Avec 164 voix pour et 103 voix contre – principalement venues de la droite et de l’extrême droite –, l’Assemblée nationale a ainsi approuvé l’article clé établissant cinq conditions cumulatives.
La première concerne l’âge : la personne doit avoir atteint au moins 18 ans. Des amendements de députés La France insoumise pour permettre à des mineurs malades, à partir de 16 ans et avec le consentement de leurs parents, de faire une demande, avaient été rejetés samedi soir.
Il faudra ensuite être de nationalité française ou résider de façon stable et régulière en France. Pour l’auteur et corapporteur de la proposition de loi Olivier Falorni, le droit à l’aide à mourir « doit s’inscrire dans une prise en charge globale » de soins, que seule une résidence stable permet. Des députés de gauche ont dénoncé le critère de résidence régulière, y voyant une atteinte à l’universalisme du système de protection sociale en France.
La difficile notion de « phase avancée »
La troisième condition prévoit que la personne soit atteinte « d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, qui engage le pronostic vital, en phase avancée » ou « terminale ». La notion de « phase avancée » questionne depuis plusieurs semaines les députés, certains la jugeant trop floue.
Le gouvernement a fait adopter, lundi, un amendement calqué sur une définition retenue par la Haute Autorité de santé (HAS), caractérisant la « phase avancée » par « l’entrée dans un processus irréversible marqué par l’aggravation de l’état de santé de la personne malade qui affecte sa qualité de vie ». Les opposants au texte ont dénoncé cette notion qui ouvrirait, selon eux, l’aide à mourir à des patients à qui il reste encore « plusieurs années à vivre ». Pour ses défenseurs, elle permettrait notamment d’ouvrir le droit à des personnes atteintes de la maladie de Charcot.
Atteint de la maladie de Charcot, Charles Biétry explique avoir préparé son suicide assisté en Suisse
« On a tout organisé avec ma femme et mes enfants. Je ne veux pas être branché sur une machine pour respirer alors qu’il n’y a plus rien, plus d’avenir. Je ne veux pas souffrir et surtout faire souffrir ma famille (…). Je me suis inscrit en Suisse pour le suicide assisté, tous les papiers sont signés » : l’ancien journaliste sportif Charles Biétry, 79 ans, atteint de la maladie de Charcot, un mal incurable, a confié au quotidien L’Equipe, samedi 8 avril, avoir organisé son suicide assisté à l’étranger. « Tu dois prendre toi-même le dernier cachet. Ce geste-là, c’est facile de dire “ je vais le faire ” quand je suis au bord de la mer à Carnac [où il vit]. Quand on te tend le cachet en te disant que deux minutes après, tu seras mort, ce n’est pas si simple. Mais en tout cas, tout est prêt ».
Pour être éligible, la personne doit aussi « présenter une souffrance physique ou psychologique » qui est « soit réfractaire aux traitements, soit insupportable selon la personne » lorsqu’elle a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter un traitement. Lundi soir, des députés Horizons, Liot et Les Républicains (LR) ont adopté des amendements soulignant que la souffrance psychologique devra être « constante » et surtout qu’« une souffrance psychologique seule ne peut en aucun cas permettre de bénéficier de l’aide à mourir ».
La dernière condition prévoit que la personne soit apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée.
Demande « par écrit »
Après l’adoption de cet article établissant les conditions, les députés ont enchaîné avec l’examen d’un autre, définissant la procédure de demande d’aide à mourir. Ils ont souhaité préciser que la demande faite par le patient au médecin soit exprimée « par écrit ou par tout autre mode d’expression adapté à ses capacités ». La version initiale ne mentionnait qu’une « demande expresse », renvoyant le détail à un décret en Conseil d’Etat.
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« Il y a une unanimité dans cet hémicycle des différents groupes qui souhaitent effectivement qu’on puisse mieux formaliser la demande et que cette demande soit écrite. Pour autant, nous savons tous qu’effectivement, il peut y avoir des personnes qui, en raison de leur état de santé, ne sont pas en capacité d’écrire », a déclaré la ministre de la santé, Catherine Vautrin, à l’origine de l’amendement adopté.
Dans la soirée, les députés ont commencé à discuter de l’alinéa du texte qui prévoit que la demande soit faite auprès d’un « médecin en activité » qui ne soit « ni son parent, ni son allié, ni son conjoint, ni son concubin, ni le partenaire auquel » la personne malade « est liée par un pacte civil de solidarité, ni son ayant droit ».
Les plus farouches opposants au texte ont tenté de le modifier. Par exemple, le député macroniste Charles Sitzenstuhl a proposé que seuls les médecins exerçant depuis plus de vingt ans puissent recueillir la demande. Et ce, afin « de protéger les jeunes médecins ». Son amendement a été rejeté, comme les autres.
La possibilité de demande anticipée rejetée
A l’inverse, des députés, pour la plupart de la gauche de l’hémicycle, ont essayé d’ouvrir plus largement le droit à l’aide à mourir. Des amendements visant à reconnaître la possibilité de la demander via des directives anticipées de la part du malade, et/ou une personne de confiance ont été défendus, mais tous rejetés.
Pour la députée Danielle Simonnet (groupe écologiste et social), empêcher la prise en compte des directives anticipées, c’est prendre « le risque » qu’une personne demande « la mort plus tôt », avant l’altération de ses capacités de discernement, pour que sa volonté soit respectée.
A l’inverse, le député Patrick Hetzel (LR), opposé au texte, a fait valoir que ces amendements posaient à ses yeux « un problème éthique », estimant que la volonté pouvait fluctuer au cours du temps, et qu’il serait impossible de la vérifier à « l’instant T ».
Pour confirmer ces votes, l’article dans son ensemble doit encore être adopté. Les débats doivent reprendre mercredi après-midi après la séance de questions au gouvernement prévue à 14 heures.
Le vote sur l’ensemble du texte, en première lecture, est prévu le mardi 27 mai. Plus de 1 200 amendements restent à étudier.