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L’affaire Kerimov est-elle plus qu’une simple histoire de fraude fiscale et blanchiment présumés autour de villas de luxe sur la Côte d’Azur ? Cette procédure judiciaire, conduite depuis l’été 2023 par le juge d’instruction Serge Tournaire au tribunal judiciaire de Paris, pourrait faire la lumière sur les dessous des négociations entre l’oligarque russe proche de Vladimir Poutine et le fisc français.

Selon les informations du Monde, des enquêteurs financiers ont mené, jeudi 27 mars, une perquisition au siège de la direction générale des finances publiques. Le parquet de Paris et la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée confirment l’existence des perquisitions qui « devraient permettre de comprendre le dispositif fiscal ayant concerné ces villas, pour un enjeu estimé à plus de 38 millions d’euros ».

Pour comprendre ces derniers développements spectaculaires – ce genre de perquisition étant très rare –, il faut remonter à 2014, lorsque le parquet de Nice ouvre une enquête sur l’acquisition de villas au cap d’Antibes (Alpes-Maritimes). L’une d’entre elles est achetée officiellement 35 millions d’euros, mais les acquéreurs auraient déboursé 92 millions supplémentaires en dessous-de-table. Très vite, des doutes apparaissent également sur l’identité du véritable acquéreur des biens, qui serait en réalité Souleïman Kerimov, un milliardaire russe placé sous sanctions européennes depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, qui n’a pourtant officiellement aucun lien avec les luxueuses demeures.

Dans la foulée de l’enquête, qui conduira à l’arrestation de M. Kerimov à la descente de son jet privé à Nice en novembre 2017, une procédure est engagée par le fisc. Mais en 2019, l’oligarque réussit à se sortir de ce double guêpier. Sur le front judiciaire, il obtient d’abord plusieurs victoires devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), qui annule une première mise en examen. Fin 2019, le juge d’instruction l’admet au statut de témoin assisté sur un autre aspect de la procédure, sur lequel il ne peut donc pas être renvoyé devant le tribunal. L’affaire se soldera par un accord avec la société suisse officiellement propriétaire des villas dans le cadre d’une convention judiciaire d’intérêt public – une sorte de transaction judiciaire – qui ne mentionne à aucun moment le nom de Souleïman Kerimov.

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Une transaction sans dénonciation à la justice

La même année, l’oligarque conclut un « deal » avec l’administration fiscale. C’est cet accord qui est au cœur des perquisitions diligentées par le juge Tournaire. M. Kerimov a-t-il payé sa juste part d’impôts ? A-t-il bénéficié d’un passe-droit ? Selon une source proche du dossier, certains aspects de cette négociation fiscale suscitent des interrogations.

Mais, selon Me Nikita Sichov, avocat de l’oligarque, « les montants payés sont de 59 104 940 euros à la suite de l’accord de 2019, qui imposait en outre à l’acquéreur de restructurer le mode de détention des propriétés afin d’être imposable à l’impôt sur la fortune immobilière. Et 4 650 000 euros à la suite du second accord de 2020, qui accordait un délai supplémentaire d’un an pour procéder à [la] restructuration ». Soit près de 64 millions d’euros pour solder le contentieux. Selon les informations du Monde, ce règlement n’a pas été accompagné d’une dénonciation du fisc à la justice, qui aurait pu relancer le dossier.

Cette « restructuration » a consisté à faire racheter les villas du cap d’Antibes par des sociétés détenues par Gulnara Kerimova, la fille de M. Kerimov, « qui règle depuis lors une somme annuelle supérieure à 4 millions » d’impôts sur la fortune immobilière, précise Me Sichov. Pourtant, ces changements vont intriguer un autre service de Bercy, Tracfin, le service de renseignement financier français.

Interrogations sur l’origine des fonds

Alors que l’affaire devait se refermer définitivement pour Souleïman Kerimov, l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 relance le dossier, avec le placement de l’oligarque sous sanctions occidentales. A l’occasion d’un article sur M. Kerimov, la cellule investigation de Radio France fait état du nom de la nouvelle propriétaire des villas à Antibes, Gulnara Kerimova. Cette information, disponible en source ouverte, ainsi que d’autres éléments, conduit Tracfin à mener des vérifications sur les flux financiers ayant permis cette restructuration.

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En juin 2022, un signalement, consulté par Le Monde, est transmis à la justice pour pointer « un circuit de financement (…) particulièrement opaque et dépourvu de rationalité économique apparente ». Tracfin s’interroge également sur l’origine des fonds qui sont parvenus à Gulnara Kerimova « dans des conditions particulièrement absconses », à travers « d’importants transferts d’argent effectués, sous couvert de donations en Russie, par M. Said Kerimov ». Ce dernier, fils de l’oligarque, a été placé, comme son père, sur la liste des sanctions européennes. Autant d’éléments qui pourraient être constitutifs de faits de blanchiment d’argent. Un argument balayé par Nikita Sichov, l’avocat des Kerimov : « La seule explication du signalement de la restructuration à la justice par Tracfin est son ignorance des termes de l’accord de 2019, qui a été communiqué à la justice il y a plus de deux ans. »

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L’accord signé avec Souleïman Kerimov est-il devenu impossible à assumer pour Bercy après l’invasion russe en Ukraine, et alors que l’oligarque est un proche de Vladimir Poutine ? En ce qui concerne les villas, Bercy semble avoir en tout cas adopté, tardivement, une nouvelle lecture de la situation. En effet, les biens immobiliers, même s’ils sont détenus par Gulnara Kerimova, qui n’est pas visée par les sanctions européennes, ont récemment été gelés par la direction générale du Trésor au titre des mesures contre la Russie. Une décision qui remonte à novembre 2024 et est « contestée devant le tribunal administratif », fait savoir l’avocat de la famille.

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